Un espion à la chancellerie
s’empourprer légèrement sous le coup de la colère. Et vous, Messire le Gallois, pourquoi êtes-vous venu ici ?
— Pour vous tuer, l’Anglais !
— Pourquoi ?
— D’abord, parce que vous êtes anglais, ensuite parce que vous êtes au service du roi d’Angleterre, enfin parce que vous êtes un espion, et surtout parce que telle est ma volonté !
— ... et parce que Maeve est amoureuse de moi ? le défia Corbett.
Owen alors éclata d’un rire insolent en rejetant la tête en arrière. Corbett en profita. Il se débarrassa de la couverture, actionna la détente de la petite arbalète de métal et le carreau alla se ficher dans la poitrine d’Owen, juste sous le coeur, au moment où celui-ci redressait la tête. Le choc projeta le Gallois contre la porte entrebâillée. Il gémit et s’écroula sur le sol, un air de stupéfaction sur le visage. Une large tache sombre entourait le carreau profondément enfoncé dans son torse, et de ses lèvres entrouvertes s’échappait un peu d’écume sanguinolente.
— Pourquoi ? murmura-t-il.
— Comme tous les tueurs, lui répondit Corbett, vous êtes trop bavard.
Mais Owen ne l’entendait plus. Il râla et toussa en crachant du sang, puis sa tête s’inclina et il mourut silencieusement. Corbett lui tâta le cou ; la tiédeur du corps provoqua en lui un sentiment de culpabilité, mêlé toutefois au soulagement de ne plus percevoir les battements du coeur. Quelqu’un alors poussa la porte, faisant basculer le cadavre sur le ventre. Corbett se releva d’un bond et saisit son poignard. Mais c’était Maeve, qui, bouche bée, le visage blême, la poitrine palpitante, luttait contre son envie de hurler.
— Hugh ! s’écria-t-elle. J’ai vu Owen traverser la cour, l’épée à la main ! Je savais qu’il se rendait ici. Je croyais...
— Me retrouver mort et Owen en vie ? l’interrompit Corbett.
Maeve acquiesça, encore livide de peur. Elle regarda le corps d’Owen :
— Il est bien mort ?
Corbett fit signe que oui.
— Il a assassiné Gareth et est venu pour me tuer.
— Pourquoi ?
— Pourquoi pas ? rétorqua Corbett avec agacement avant de s’écrouler, épuisé, sur le lit... Maeve, reprit-il lentement, vous connaissez les raisons de ma présence ici : je sais que votre oncle conspire contre le roi. Il faut absolument qu’il cesse. Il n’est qu’un pion aux mains de Philippe de France. Owen me soupçonnait d’être un agent et c’est pour cela qu’il me détestait, et aussi parce que je vous aime.
— M’aimez-vous ?
Maeve enjamba délicatement le cadavre d’Owen et s’approcha de Corbett.
— Oh ! Messire l’Anglais, me voilà dans mon propre château près de la dépouille d’un homme qui aurait volontiers été mon champion contre le reste du monde, et que j’ai délaissé pour un Anglais, un espion qui dit m’aimer. M’aimez- vous ? M’aimez-vous vraiment ?
— De tout mon coeur ! marmonna-t-il farouchement. Partez avec moi, Maeve ! Venez !
Corbett saisit ses petits poings crispés et l’attira contre lui pour l’embrasser. Les lèvres de la jeune femme effleurèrent son front, puis elle lui caressa la joue, suivant du doigt les rides autour de sa bouche.
— Je ne peux pas ! chuchota-t-elle avant de se ressaisir énergiquement et d’ajouter : Mais vous, il faut que vous fuyiez immédiatement ! Non !
Elle arrêta ses protestations en lui posant tendrement la main sur la bouche.
— Vous devez partir ! Mon oncle va vous tuer pour la mort d’Owen. Ne prenez pas vos chevaux, mais fuyez par la mer. Je vais vous montrer le chemin.
Elle parcourut la chambre du regard.
— Allez chercher Ranulf, lui ordonna-t-elle. Maintenant !
Corbett se leva et voulut parler, mais devant l’air décidé de Maeve il se tut et s’exécuta docilement.
Ranulf était confortablement installé dans un bâtiment des communs, comme le reste de la garnison, afin de se protéger du féroce soleil de l’après- midi. Il s’efforçait péniblement de séduire une donzelle qui persistait à parler en gallois et refusait ainsi d’accepter ses avances et d’y répondre. Corbett le traîna dehors et lui raconta tout à voix basse, étouffant les exclamations d’horreur du jeune homme en lui flanquant un grand coup de pied dans les chevilles. Ils retournèrent à leurs quartiers dans le donjon. Corbett redoutait à présent que la garnison ne se réveillât de sa sieste et ne se posât des
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