Un espion à la chancellerie
dégarni, le visage tanné comme du cuir, se contenta de l’observer, son énorme main musclée lissant l’épaisse barbe noir de jais qui lui arrivait à la poitrine. Il répondit en gallois, bien que Corbett fût certain qu’il comprenait l’anglais.
— Lady Maeve m’envoie, répéta Corbett. Elle m’a dit de donner cela au dénommé Griffith.
Et il ouvrit la main pour montrer la bague. Le pêcheur s’en empara promptement.
— Je vais la garder, expliqua-t-il en bon anglais. C’est moi, Griffith. Que désire Lady Maeve ?
— Que vous me fassiez traverser la Severn jusqu’à Bristol.
Griffith protesta un peu et haussa les épaules avant de revenir vers le petit groupe de spectateurs. Là, il se retourna vers Corbett et lui fit signe de la main.
— Venez ! Venez ! répéta-t-il. Nous partons !
— Maintenant ?
— Pourquoi pas ?
— La marée change, remarqua Corbett. Nous ne pouvons pas nous en aller !
Griffith le dévisagea de ses yeux bleus rappelant ceux d’un enfant.
— Nous pouvons rester si vous voulez, rétorqua-t-il, mais on a appris, au village, que les hommes de Lord Morgan fouillaient toute la région. On peut attendre jusqu’à ce qu’ils arrivent, si vous voulez.
Corbett grimaça un sourire et rééquilibra les sacoches sur ses épaules.
— Vous avez parfaitement raison, répliqua-t-il. Nous devrions partir aussi vite que possible.
Griffith acquiesça et le précéda sur le chemin pour gagner l’endroit où attendait Ranulf. Il observa le jeune homme puis lui fit signe de se joindre à eux.
Ils se dirigèrent ensuite vers les barques de pêche, tirées sur le sable mouillé et sommairement amarrées à de hauts piquets fichés dans le sol. Griffith détacha la plus grande, une longue barque à faible tirant d’eau, qui était déjà approvisionnée pour prendre la mer. Corbett aperçut des tonnelets d’eau douce et deux pots en grès, et il comprit qu’en temps ordinaire Griffith et ses compagnons devaient attendre la marée du soir pour aller tendre leurs filets. Avec force grognements et gémissements, ils poussèrent le bateau à l’eau ; ce fut une tâche pénible jusqu’à ce que les rouleaux s’emparent de la barque, comme un amant de sa maîtresse, et qu’elle se mette à vivre, flottant et tournant sur les vagues, impatiente d’échapper à la terre et de s’enfuir vers le large. Griffith embarqua, suivi par Corbett et Ranulf. Le Gallois empoigna la barre et leur ordonna de se mettre à ramer. Il s’amusait comme un petit diable en hurlant aux deux Anglais de souquer ferme, les couvrant d’imprécations chaque fois que, le souffle court, ils peinaient sur les avirons.
— Allons, Messires ! Ramez, si vous tenez à votre vie ! leur rappelait-il d’une voix railleuse. Ramez ! Il faut s’éloigner de la terre et attendre le changement de marée.
Et c’est ce qu’ils firent jusqu’à ce que le soleil s’enfonçât dans la mer en une éclaboussure pourpre. Griffith leur permit alors de se reposer ; ils se laissèrent tomber sur leurs bancs, exténués, puis, au bout d’un moment, Griffith leur donna de l’eau et des tranches de poisson séché, en guise de réconfort.
Ils se restaurèrent, attentifs au tangage du bateau soulevé par la houle. Griffith hissa l’énorme voile carrée et ils sommeillèrent pendant que l’embarcation fendait les vagues sous le ciel d’été limpide et pur. Corbett ne prêtait guère attention à la nuit, à la brise ou au firmament d’un bleu profond que transperçaient, tels des morceaux de glace, les étoiles scintillantes et la lune d’été. Ranulf dormait, mais lui s’était pelotonné dans sa cape ; il était au bord des larmes à l’idée d’avoir perdu Maeve et il ressentait un vide immense. Ce sentiment ne l’abandonna pas pendant les huit jours que dura le voyage. Il était trop abattu, même, pour souffrir du mal de mer ou pour avoir des nausées en mangeant la nourriture fruste que leur proposait Griffith. Une ou deux fois, il essaya d’interroger le pêcheur sur Lady Maeve, mais ce fut peine perdue. Il le questionna alors sur les négociations entre le comte de Richemont et Lord Morgan concernant les droits de pêche le long de la côte des Galles du Sud, mais là encore Griffith refusa de répondre.
Pendant toute cette semaine de voyage, ils profitèrent des vents chauds pour suivre les routes maritimes qui les menèrent au port de Bristol où tous les trois,
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