Un jour, je serai Roi
afin d’admirer le château de Louis XIII. Et la désillusion l’étreint. Elle ne voit qu’un modeste relais, tout juste la demeure d’un gentilhomme campagnard tournée vers les travaux des champs, l’élevage du bétail. Du moins, c’est ce à quoi doivent servir les deux corps de logis qui encadrent le château, se dit la reine. On doit y entasser le fourrage, les faux, la cisaille. Et devant ce U, qu’y a-t-il ? Il faut longer une des ailes avant de trouver… une butte donnant sur des champs, des prés mal taillés. En contrebas, pâturent les bestiaux. Au moins, le bourg misérable qu’elle a traversé en arrivant se cache. Mais est-ce mieux ? L’autre façade du château est aussi décevante. Une terrasse maigrelette, pompeusement ornée d’une balustrade – un simple garde-corps, décide-t-elle, aux allures bourgeoises. Une façade austère, juste agrémentée de balcons et ce ne sont pas les deux pavillons, situés chacun à une extrémité, qui sauvent l’ensemble. Marie-Thérèse compte les fenêtres, croit en voir huit ou neuf à l’étage quand elle imaginait un palais aux mille ouvertures, et s’effraie à l’idée de dormir dans cette maison habitée par les souris et les araignées. Ce bâtiment sans grâce, aux allures quasi militaires, sans fantaisie ni génie, décourage la jeune reine formée à l’art de Vélasquez. Elle soupire, lève les yeux au ciel. Mon Dieu ! Le toit est en ardoise. Qu’y a-t-il de plus triste pour l’Hispanique à qui manque la tuile mordorée par le soleil de son pays natal ? La main d’un sculpteur aurait-elle au moins mis un grain de folie dans cette monotonie ? Tout est plat, pesant, lourd. Rien n’est beau ici. Pas même un jardin, une allée, des bosquets de fleurs aux fragrances entêtantes. Tout juste cette butte, ces champs gras à perte de vue et des masures d’indigents. Est-ce cela, Versailles, le Palais de toutes les promesses ? Pourtant, Louis n’en démord pas. Il promet un miracle à la reine. Ce n’est qu’une question d’argent, de volonté, de talents. Et de temps. Mais ce roi si pressé sera-t-il patient ?
Chapitre 22
A U PRINTEMPS DE L’AN 1663, le 21 ou le 22 avril (un samedi, à coup sûr), un carrosse file hors de Paris peu après l’aube. À bord, se trouve un homme seul, vêtu richement, selon la mode du temps. Il ne porte pas de pantalons – ce genre d’habits ne sied qu’aux gens du peuple – et, pour se convaincre de sa fortune, voici qu’il croise les jambes, montrant des bas en soie de couleur jonquille, un choix osé, outrancier peut-être, mais qui, finalement, s’harmonise avec le temps et l’humeur du jour puisqu’il fait doux et que le ciel nimbé de touches chatoyantes de cobalt et de pourpre chasse poliment le gris de la nuit. Bien qu’il s’en aille à la campagne, le voyageur a délaissé les bottes, préférant des souliers à talons, lustrés comme des sous neufs, ornés de boucles dorées, jumelles de celles que perdit Gaston d’Orléans, l’oncle de Louis XIV, au bourg du Pouliguen 1 . De toute évidence, il ne se rend pas à la chasse. Il visitera ses terres ou s’en va rencontrer un notaire afin de conclure la vente d’un lot de bêtes, des veaux gras de l’Orne, car il pique vers l’ouest. On l’imagine oisif la plupart de sa vie, échappé de la cour du Louvre, parti régler ses affaires, encaisser la rente dont il a besoin pour paraître à Paris. La route est dure, l’allure trop vive. Il s’accroche de la main gauche à la poignée de la portière, luttant contre les nids-de-poule, vestiges d’un hiver pluvieux qui a gondolé la voirie et fait tanguer l’attelage. Le fouet du cocher s’entend. Il jette la machine en avant. La manière est brutale. La chandelle qui éclaire faiblement l’habitacle pâlit, tremblote, le châssis craque sinistrement. Un rien de chahut en plus et le passager perdra sa prestance. Le voilà qui s’agace et tape du pied pour calmer l’ardeur de son conducteur.
— Moins vite, Bourdine ! Nous ne sommes pas aux pièces, que diable ! Cessez de vous comporter en Parisien !
L’attelage des deux andalous repasse au trot.
— Fichtre, murmure l’inconnu, ce Bourdine est un sauvage, et moi, j’ai grandement besoin de me reposer…
D’un geste nerveux il pince entre ses doigts gantés la mèche de la chandelle et, toujours de la main gauche, écarte le rideau de la fenêtre qui l’isolait du monde. Il hume l’air vif de la colline de
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