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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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Saint-Cloud, jette un dernier regard sur les courbes oblongues de la Seine, au loin, embrumée, endormie.
    Son teint est pâle, ses traits tirés. Sans doute a-t-il peu dormi. À son âge, vingt-cinq ans peut-être, la vie est courte, folle, dense, le sommeil attendra. Bien qu’il soit assis, on le devine grand, mince, nerveux, indocile puisqu’il ne se plie pas au port de la perruque. À quoi bon une telle coquetterie ? Ses longs cheveux bruns et bouclés, soigneusement brossés, affichent la propreté et le lustre qui sied aux gens de sa condition. En effet, l’homme est soigné comme l’atteste son gilet, un pourpoint de velours carmin qui met en valeur une veste de soie jaune – printanière, en somme – brodée dans le même ton que ses bas clinquants. Ce camaïeu ocre et topaze est un peu m’as-tu-vu , d’autant que la panoplie se complète de ferrets en argent cousus aux aiguillettes reliant le pourpoint aux chausses. Ainsi, l’homme fait… endimanché. Étrange choix pour un samedi, presque déplacé se réjouirait la plume saignante du moraliste toujours prêt à croquer le portrait du fat et du parvenu.
    On pense à une faute de goût, un hiatus qui tranche avec l’allure racée du personnage. Mais rien n’est clair sur ce cas et le projet qui se dessinait – la visite d’un désœuvré à ses terres provinciales – s’évanouit quand le carrosse quitte la route de Normandie après le relais de Vaucresson et attaque une allée infinie, tracée au cœur d’une forêt de chênes séculaires aux limites incertaines. Une heure de route, moins de deux assurément, et Paris semble si loin…
    En avril, la sève coule dans les veines des essences flamboyantes de ce domaine secret, point final du voyage qui s’achève. Quatre lieues viennent d’être franchies et c’est un monde nouveau, sauvage encore, où badine le gibier étourdi par les effluves des premières pousses des fougères gorgées de rosée. Un cerf aux bois puissants sort du fossé et traverse le chemin parsemé d’herbes folles qui conduit à un petit bourg dont le bout du clocher se montre en haut du dernier faux plat. La suite est une descente qui force le cocher à juguler la fougue des chevaux. Maintenant, le temps s’arrête vraiment. Dans quelle campagne lointaine se trouve-t-on ? Dans quel siècle entre-t-on ? Ce qu’on voit là-bas, perché sur un monticule de terre, balayé par le vent, est-ce le château de cartes que construisit Louis XIII ? Qu’y a-t-il de royal à Versailles ? s’interroge le visiteur. De quoi parle Le Vau, le premier architecte de Sa Majesté ? Où sont les jardins qui épuisent le génie du jardinier Le Nôtre ? Ce marais pestilentiel, est-ce le trésor, la merveille qui hante Louis XIV ? Faut-il s’esbaudir, applaudir l’odeur putride qui éreinte les senteurs pastorales de la forêt ?
    — Passez cette mare infecte et arrêtez-vous !
    L’ordre s’accompagne d’un coup sec asséné de la main droite sur le toit du carrosse. C’est un bruit mat, pareil à celui du pommeau d’une canne. Ce bruit-ci est celui d’un manchot, car sous le gant gainé de cuir de Toussaint Delaforge gît une main de bois, pétrifiée, morte, et figée jusqu’à la fin des temps dans la pose immuable qu’inventa, il y a quatre ans déjà, le ciseau de son géniteur, un habile menuisier, ami du maître maçon Pontgallet.

    Quatre ans plus tôt, Toussaint Delaforge s’était apparemment plié à l’ordre du révérend Calmés. Il rejoindrait le maçon Pontgallet pour y apprendre un métier digne et honnête. Et s’il ne devenait pas tailleur de pierre en raison de son handicap, il pourrait apprendre le dessin, le tracé d’un toit, la toise d’un terrain. À défaut, son éducation lui laissait entrevoir la possibilité d’être un bon trésorier. Il savait lire, compter de tête. En apprenant, il parviendrait à tenir une plume de la main gauche sans trembler. C’était une question d’effort, de travail, valeurs auxquelles le jésuite accordait des vertus supérieures pour remettre sur le droit chemin l’âme perdue. En échange d’une honnête soumission, Calmés promettait d’effacer la dette ancienne de Montcler, d’oublier le geste impardonnable à l’endroit de Ravort, d’autant que le sujet de cet acte odieux n’existait plus. Le boiteux n’était-il pas mort ? Calmés avait vu le sang gicler de la gorge quand Beltavolo s’était jeté sur son complice. On ne pouvait réchapper d’une

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