Un jour, je serai Roi
l’exception du chocolat ? Mazarin a conseillé son filleul :
— Ouvrez votre cœur. Montrez-lui ce que vous aimez sincèrement.
Versailles a surgi aussitôt.
*
Dans le carrosse, Louis rompt le silence. Il s’exprime avec lenteur pour être bien compris et même si ce tempo ne lui plaît pas, il s’applique, car il s’agit de la reine. Le cardinal Mazarin serait content de son élève qui semble décidé à trouver les liens qui manquent à l’union entre la France et l’Espagne.
Le jeune Louis ne dit rien des causes de son attachement à Versailles. Il garde pour lui cette partie de chasse avec son père. C’est son jardin secret. En revanche, le futur, annonce-t-il, il le verrait ainsi. Inspiré par son parrain qui l’a éduqué aux beautés de l’art, il imagine faire construire un château dans l’écrin du domaine où ils se rendent. À moins, corrige-t-il, d’agrandir celui que lui a légué son père, il ne sait pas encore. Il y réfléchit, prétend-il en se tournant vers Marie-Thérèse – ce qui peut signifier qu’il souhaiterait entendre ses idées. Et quel couple n’aimerait échanger sur le projet d’une maison commune ? Converser comme de bons amis sur la décoration, les tissus brodés, les étoffes, les meubles, les vases, les tableaux, voilà qui plaît à la jeune reine, bercée par les paroles de son mari. Louis ne manque pas d’adresse. En s’approchant d’elle, en se collant tout près, en posant la main sur sa cuisse, il évoque les souvenirs du Palais-Cardinal, la demeure majestueuse qu’occupèrent Anne d’Autriche, le jeune Louis et Mazarin. Marie-Thérèse accepte les caresses, ne se défile pas. Qu’y a-t-il de plus beau que d’entendre que son époux adore les meubles en argent, qu’il apprécie la porcelaine de Chine, les tapisseries et les tableaux, dont ceux du maître Raphaël, citant un Saint Michel et un Saint Georges figurant chez son parrain, le cardinal. Ses connaissances sont précises, son jugement acéré. À ses yeux, compteraient donc autre chose que le sexe, la ripaille, les conquêtes, et toutes ces activités horribles et vulgaires, apanage des hommes et d’un roi ? Maintenant, il évoque le Mariage mystique de sainte Catherine , peint par Corrège et, pour Marie-Thérèse qui a connu dans son palais royal de l’Alcazar, à Madrid, les trésors de l’âge d’or espagnol, c’est une révélation. Son époux apprécie l’art et, semble-t-il, autant, si ce n’est plus, que ses chevaux et ses maîtresses. Dans ce château qu’il espère, il fera travailler les plus grands talents, s’inspirera de ce qui vient d’être réalisé au Louvre pour sa mère, Anne d’Autriche.
Marie-Thérèse écarquille les yeux. Est-ce possible ? L’appartement du palais parisien de la reine mère vient en effet d’être restauré. Ce ne sont que beaux parquets de marqueterie, plafonds richement décorés, profusion de meubles finement vernis, de miroirs cerclés d’argent, la vaisselle est en or et on y trouve même, lui chuchote-t-il en cherchant ses lèvres, un salon des Bains habillé de colonnes de marbre et rehaussé de bronze. Même à Madrid, cela n’existe pas… Et Louis n’en a pas fini. En s’approchant encore de son épouse, en dégrafant ce col qui, soutient-il, étoufferait sa respiration, il décrit la vie qu’il y proposera.
Fleurs et parfums régneront sans partage. L’oranger, l’essence qu’elle lui a fait découvrir, sera partout présent. Marie-Thérèse soupire de plaisir, ses joues se colorent. Le roi l’aimerait donc ? L’œil, poursuit cet habile conteur, ira des statuettes antiques aux vases de jaspe et de cristal. Tout sera spectacle et beauté, dédié à la grâce des femmes. C’en est assez. Avant de pénétrer dans le domaine de Versailles, Marie-Thérèse a cédé. Elle se donne sans hésiter, éprouve un plaisir véritable, brutal et rapide. Trop, sans doute.
Mais le cocher tire sur le frein. Les chevaux s’arrêtent net. Louis est déjà dehors. Marie-Thérèse est plus lente. Ses lourds vêtements l’embarrassent et elle prie pour que personne ne montre sa tête à la portière. Mais il faut descendre, le roi s’impatiente. Marie-Thérèse pose un pied dehors. Aïe ! Une flaque noie ses souliers. Le chemin n’existe pas. Elle cherche un page pour l’aider, comme à Madrid, mais il n’y en pas. C’est une sortie pastorale, bucolique !
La reine frissonne. Où se trouve-t-elle ? Son regard s’échappe
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