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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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construite de ses propres mains, et il s’y sentait bien : simplement quatre murs, un toit solide, un étage abritant quatre chambres – sans compter les combles et l’atelier dans la cour –, mais le symbole d’une réussite obtenue à la force du poignet. Ce coin du monde était à lui, il y avait vu ses enfants grandir, jouer, rire, apprendre, protégés et surveillés par une mère aimante et généreuse qu’il entendait dès le début de la rue appeler les petits pour le souper. Le sentiment du travail fait, il retrouvait sa tribu, heureux et harassé, comme au temps où il n’était que compagnon et qu’il s’en revenait, courbaturé, le visage poussiéreux, les mains engourdies par la masse s’abattant et brisant la pierre. Avant même d’avoir franchi le seuil de sa maison, il savait que sa femme était allée chercher pour lui l’eau au puits de la cour, qu’il grommellerait de plaisir en plongeant son visage dans la cuvette pleine, qu’elle lui tendrait un linge afin qu’il se nettoie. Après le repas, il aurait le temps de prendre ses enfants sur les genoux, de les écouter raconter leur journée et, en échange d’un dernier baiser, de les voir cavaler dans l’escalier, avant que la nuit ne vienne. Alors, il profiterait de la veillée pour raconter à sa bien-aimée ses projets pour demain. Un jour, il deviendrait maître, bâtisseur pour le roi. Dans ces moments de sérénité, il détaillait le profil apaisant de Marguerite allant et venant dans la lueur vacillante de l’âtre, éveillant ce désir qui n’avait jamais faibli et, quand il reposait, attendri par le bonheur, il écoutait les craquements familiers du bois dont il avait choisi chaque planche. Sa maison valait tous les palais des riches, cette rue paisible, éloignée des fureurs, tous les pays de cocagne. Alors, avant de fermer les yeux, il remerciait Dieu de lui offrir tant de félicité.

    Cet ancien apprenti de Philibert Le Roy, l’architecte de Louis XIII qui avait élevé le premier château de Versailles en lieu et place du relais de chasse, trimait depuis l’âge de douze ans et, à bientôt cinquante, ne s’en plaignait jamais. Fils aîné d’un petit laboureur du Perche, il avait quitté les siens, baluchon sur l’épaule, porté par la devise qui lui avait tant réussi : On ne peut rien contre le travail . À force de courage et d’honnêteté, il avait gravi un à un les échelons du monde des entrepreneurs, rejoignant Lefebvre, Villedo, Hanicle, d’Orbay, les illustres maîtres des Bâtiments du roi. Et entrer dans ce cercle, c’était comme trouver le Graal.
    Pontgallet se souvenait de son admission. Après dix années de compagnonnage, le maître général des œuvres de maçonnerie, clef de voûte de la profession, lui fit savoir qu’un jury composé de trois maîtres réputés, Villedo, Mazière et Bergeron, examinerait son cas. Cette digne délégation vint d’abord le visiter sur un chantier, afin de vérifier la façon dont il montait les murs d’une maison bourgeoise de la rue de la Verrerie, appartenant à un gentilhomme exerçant le noble art de verrier 2 . Le terrain étant marécageux et en pente, on prit soin de toiser les fondations. Rien d’autre ne fut prononcé, ni critique ni satisfecit , jusqu’à ce lundi 15 juin 1648 où ce même jury le convoqua à huit heures chez le maître général des œuvres de maçonnerie et lui remit le sujet du chef-d’œuvre qu’il devrait produire : une colonne dorique, expression de l’art de l’ancienne Grèce. Cannelée à arêtes vives, la colonne comportera un chapiteau à échine nue et un entablement qui conjuguera en une alternance triglyphes et métopes 3 . Il en sera réalisé, en une seule journée, le trait géométrique, puis son exécution. Tel se présentait l’énoncé 4 . Alors, on le conduisit dans une pièce éclairée par le peu de ciel gris que laissait passer une fenêtre haute. Puis on ferma la porte à clef, abandonnant le candidat aux affres de la création avec pour compagnie un taillant, une pointerolle, un marteau appelé têtu, une massette, une gouge que d’autres désignent burin, une polka pour bûcher la pierre, une râpe, une ripe, une scie, etc., et trois blocs de calcaire arrivant des carrières de Caen.
    À la fin du jour, Pontgallet avait débité, dégrossi, équarri, tracé, taillé, poncé, taillé encore, et n’était pas satisfait. Il frappa pour qu’on lui ouvre, supplia le cerbère qui veillait

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