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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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devant la porte de lui fournir une chandelle. On lui répondit qu’il devait se retirer. Pouvait-il revenir la nuit ? Le gardien, inflexible, le poussa dehors, ferma la pièce à double tour et lui conseilla d’aller se reposer car le lendemain serait épuisant. Pontgallet n’en pouvait plus, mais, rentré chez lui, il ne trouva pas le sommeil, ruminant sur son travail, regrettant sa fébrilité et son empressement.
    Le lendemain, à dix heures, le jury vint pour examiner l’œuvre en présence de son auteur. Villedo s’entretenait avec Mazière qui se tournait vers Bergeron afin de recueillir un avis. Ils s’exprimaient à voix basse, usaient d’airs entendus, opinaient rarement, et toujours gravement. Pontgallet sut qu’il était perdu. À midi, le jury annonça qu’il se retirait pour délibérer et rendrait son jugement après dîner, soit à quatorze heures 5 . Le pauvre Pontgallet ne put rien avaler tant son estomac s’y refusait. Il passa le repas à marcher de long en large, faisant le guet, attendant le retour du jury. Ne voyant rien venir, il se présenta à deux heures, convaincu d’être reçu par un moins que rien déclarant son échec. C’est ici qu’il entendit les maçons attablés dans un salon, discutant de leurs affaires et n’échangeant pas un mot sur sa personne et son chef-d’œuvre. Ils ferraillaient plutôt sur la création d’une entente réunissant charpentiers et couvreurs afin de répondre à une commande émanant de la surintendance. On citait tous les noms, sauf le sien et il songeait à se retirer quand Mazière ouvrit la porte, les joues rosies par le vin d’Alsace.
    — Avez-vous mangé ? demanda-t-il.
    Le candidat fit comprendre que non.
    — C’est regrettable car vous n’en avez pas fini.

    Il restait une dernière épreuve avant de décider de l’ensemble, et c’était la plus redoutable. À la tombée du jour, alors qu’il titubait de fatigue, on le fit entrer dans une vaste pièce dont le fond seul était éclairé par trois flambeaux. On l’y conduisit, l’obligeant à traverser les lieux qui, pour le reste, restaient plongés dans la pénombre. C’était comme au théâtre. Il se rendait sur la scène, baignant dans la lumière, tandis que les spectateurs s’installaient pour le détailler car, ici, on ne manquait pas de monde, et, malgré le peu de clarté, le compagnon Pontgallet comprit que cette assemblée comptait de nombreux maîtres venus l’auditionner. Ses craintes grandirent encore quand une voix qu’il ne connaissait pas le pria de s’asseoir, dos tourné, de telle sorte qu’il n’apercevait rien de la masse humaine.
    — Voulez-vous devenir maître, Nicolas Pontgallet ?
    Ce timbre-ci lui était tout aussi étranger et en s’entendant prétendre qu’il désirait rejoindre les bâtisseurs du roi, il ne reconnut pas plus le sien, noué par l’émotion.
    Ensuite, on l’avait questionné sur les raisons profondes qui l’avaient décidé à devenir maçon. Étrange demande pour un homme simple et droit qui se levait tôt, partait au travail, accomplissait son œuvre sans s’interroger. Pourquoi bâtissait-il ? Posé sur un tabouret, au cœur de l’illustre aréopage qu’il rêvait de rejoindre, l’impétrant se sentait nu et fragile tel le nouveau-né. Derrière, on s’impatientait, on le pressait de se décider. Que fallait-il répondre ? Du côté éclairé par les flambeaux, là où il se trouvait, il discernait un crâne posé sur une colonne, symbole de la brièveté de l’existence. Lui demandait-on si construire faisait essentiellement partie de sa vie comme si, au moment de mourir, il devait se retourner sur son passé et séparer l’accessoire du principal, le fugace de l’immuable ? Il garda longtemps le silence. Une voix retentit – était-ce Bergeron ou Mazière ? –, exigeant qu’il se livre. Sans y réfléchir davantage, il dit :
    — Tout homme a besoin d’un toit pour se sentir libre. Je le sais pour l’avoir connu.
    Le souvenir avait jailli d’un coup. Il arrivait de très loin, du fin fond du Perche où il avait vécu. Il s’était vu à l’âge de douze ans, sa mère sur le pas de la porte, l’embrassant une dernière fois, lui faisant jurer d’être sage, et de se servir de ce que lui avait appris le curé pour lui écrire. Elle ne savait pas lire, mais un peu d’encre la rassurerait. Il suffirait qu’il barbouille un N , comme Nicolas en bas du feuillet. Elle saurait que c’était lui, qu’il

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