Un jour, je serai Roi
Je pars demain. Je bouge, reçois. Je me montre et répète que vous manifestez de l’enthousiasme pour les forges. Tenez, je note les opinions sur votre personne. Au moins, vous saurez si vous avez des ennemis et si Daliès de La Tour est mieux placé. Puis j’annonce votre venue pour dimanche. Qui retiendra que vous deviez être là mardi ?
— L’idée me semble intéressante…
— Sauf si vous estimez que l’avis de Marguerite Pontgallet est fondé, ajouta Toussaint perfidement.
— Dans ce cas, sourit l’architecte, il faudrait que depuis six mois vous m’ayez mécontenté…
— Dois-je le craindre ?
— Hébergerais-je un homme qui n’aurait pas ma confiance ?
Le voyage dans le Nivernais se déroula au mieux. Delaforge y fit des miracles, travaillant pour le parti de Le Vau et y excellant. On le reçut à l’évêché, en effet, où se trouvait un jésuite, ami du révérend Calmés qui prit grand plaisir à entendre que l’ancien collégien restait toujours en contact après tant d’années avec ce préfet de discipline connu pour sa rigueur, ce qui présumait d’un même état d’esprit chez le visiteur inconnu. On lui demanda aussi de s’exprimer en latin et il le fit courtoisement, récitant de mémoire la première lettre de saint Paul aux Corinthiens qui s’achève ainsi : « Celui qui veut s’enorgueillir, qu’il mette son orgueil dans le Seigneur. »
— Voici la seule arrogance dont fait preuve Monsieur Le Vau, le premier architecte du roi. Celle de servir Dieu et ses représentants.
La promesse produisit son effet d’autant qu’il ajouta : — Dirigée par ce maître, la manufacture de fer-blanc sera d’un bon rapport et l’architecte du roi ne manquera pas d’en faire profiter l’Église.
Delaforge prit soin de se rendre vite au château de Beaumont où les travaux paressaient. On comprit que le manchot, menaçant des pires réprimandes les maçons et les charpentiers, n’était pas né de la dernière pluie et que, malgré son jeune âge, il connaissait la combine. Il fit jurer au contremaître que le vestibule et l’escalier seraient dégagés des gravats, que la chambre d’apparat serait propre et meublée, que le feu brûlerait dans la cheminée, qu’un souper serait servi chaud par une servante accorte et, en ressortant, exigea qu’on ôte les feuilles mortes de l’allée principale. Il alla coucher dans une modeste auberge où il se montra généreux, ce qui étonna les présents, convaincus de l’arrogance hautaine des Parisiens. On le vit encore à la messe, puis avec le curé qui se plaignit du manque d’argent pour remplacer une cloche fêlée et se vit remettre une bourse bien remplie, acompte sur la générosité du sieur Le Vau. Et tandis que le prêtre remerciait en courbant le dos, le visiteur lui demanda encore si les ouailles d’ici manquaient de choses ou d’autres. L’urgent, répondit-il, était de prodiguer des soins à la petite Pierrette, enfant fragile d’une modeste famille. Delaforge fit aussitôt mander le médecin et se rendit de concert au chevet de la jeune malade vérifier la qualité de la saignée. On lui prit un bon litre de sang, assez pour soulager sa fièvre. Les yeux pleins de larmes, la mère remercia le bienfaiteur et le père plus méfiant entendit dire que la manufacture engagerait des hommes comme lui, solide, sérieux et bon mari aussi, ce que son épouse confirma en rougissant. Si bien que Le Vau arriva en terrain conquis le dimanche, juste à l’heure de la messe. Le prêtre consacra l’essentiel du sermon à remercier les cieux d’envoyer sur les terres du Nivernais un homme compétent et bon, venu et accueilli en ami. À la sortie, les visages de ceux qui l’entouraient lui indiquèrent que le curé prédisait vrai.
— Un excellent travail, exulta Le Vau en découvrant que sa chambre au château était prête. Merci, Toussaint. Alors, enchaîna-t-il sans perdre de temps, quelles sont les nouvelles ?
Delaforge aurait préféré que l’on parle de Pontgallet, mais Le Vau piaffait d’impatience.
— Il faudra vous entendre avec Samuel Daliès de La Tour. Cet homme est aussi puissant que craint. Il est le contrôleur général des gabelles et greniers à sel de France. Et qui n’aurait pas envie de plaire à celui qui collecte l’impôt ?
— Que me conseillez-vous ?
— Composer plutôt que se battre. D’ailleurs, souhaitez-vous un plein-temps dans le Nivernais ?
— Non, de grâce… J’ai
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