Un jour, je serai Roi
maçon Bergeron. Dans quelques jours, Versailles reçoit. L’avant-cour doit être terminée.
Nombre de ces tâcherons ont débarqué un matin à Versailles, le ventre vide et sans le sou. Le Faillon est d’abord passé par Paris. C’était en janvier 1660. Son épouse maudissait l’aventure, leur chiard grelottait de fièvre. Lui, il s’accrochait à ce nom, Pontgallet, murmuré par un inconnu passé sur la terre de Gurunhuel où il est né, près de Mousterou, et non loin de Guingamp. Le Faillon, qui y menait jusqu’ici une vie de misère, n’oubliait pas d’être charitable, et quand cet étranger appelé Le Floch lui demanda l’hospitalité pour la nuit, le bûcheron ajouta une écuelle de soupe et un morceau de pain. Le Floch expliquait qu’il rentrait chez lui pour enterrer son père, quitté depuis dix ans, mais avait oublié que la route était si longue entre Bourbriac et Locquirec – à moins qu’il ait vieilli, souriait-il, et que ses pas se fassent plus lourds. Comme quoi, il était content d’avoir frappé à la porte de Le Faillon alors que la nuit venait et il promettait de le remercier. Ce gaillard à la cinquantaine avait fait une bonne impression à Le Faillon, et, par ici, on manquait de visite. Il se tenait bien, ne reluquait pas sa femme et pendant qu’il racontait sa vie, il avait taillé pour le gosse un bonhomme en bois dans une branche sèche de noyer. En connaisseur, le bûcheron avait apprécié l’adresse de Le Floch. Ce dernier travaillait comme compagnon chez un certain Pontgallet et gagnait correctement sa vie. Le patron était honnête, sa femme souriante, la solde toujours payée au jour dit. Depuis peu, un type, Delaforge, avait mis le grappin sur la famille et reluquait la fille. Il s’acharnait sur les hommes et flattait son maître, mais ses combines finiraient par se voir et tout redeviendrait normal. Oui, il y avait du bon à travailler à Paris, chez Pontgallet, et si Le Faillon se décidait à tenter sa chance, Le Floch promettait de lui rendre l’hospitalité.
Le lendemain, le maçon était parti en abandonnant une pièce d’une livre, ce qui, par ici, était beaucoup. Le Faillon l’avait gardée. Parfois, il la sortait du tiroir et s’amusait à la faire tourner sur la table, puis la frottait contre la manche de sa veste et sondait ses éclats lustrés à la lueur du feu. Le maçon disait-il vrai ?
Après le départ de Le Floch, il plut sans discontinuité pendant quatre semaines. Le bûcheron se rendait le dimanche à la messe pour avoir des nouvelles de son pays. Il écoutait la litanie du curé annonçant les morts. Les vieux étaient emportés par la rudesse du climat. Deux ou trois jeunes, embarqués à Binic sur des bateaux de pêche, avaient été avalés par la tempête. Il ne restait que des têtes désespérées et toutes racontaient que rien de bon ne se préparait. Un voisin décéda brutalement le 12 février, foudroyé par une fièvre sournoise. On brûla son corps, faute de pouvoir payer la somme réclamée par le croque-mort. Mais le bruit courait qu’il avait la peste. Il restait à Le Faillon dix sols et la pièce offerte par Le Floch. À la fin février, il fit encore un tour et tapa à toutes les portes afin de trouver du travail. Ceux qui lui ouvrirent étaient aussi pauvres que lui.
Le soir, il prit sa décision. Pour trésor, il emporta sa livre et deux chemises dont celle qu’il portait. Sa femme fit cuire cinq gros pains avec le solde de seigle de l’hiver. Le gosse serra le jouet en bois dans la paume. Tous trois partirent le lendemain à l’aube, sous une pluie battante, sans fermer la maison qui ne leur appartenait pas plus que les trois méchants meubles qu’ils abandonnaient. D’ailleurs, cette masure ne disposait pas de clef. Le Faillon avait travaillé au long du périple, taillant le bois chez les gens de passage en échange d’une place dans la grange aux bêtes, à même la paille, et profitant parfois d’un repas chaud chez les plus généreux. Sa femme se proposait de traire les vaches ou de biner la terre. Petit-Jean subissait la cruauté des gamins haineux qui se moquaient du baragouin du sale étranger.
En vivant d’expédients, ils arrivèrent à Paris, rue de la Mortellerie. Mais Le Floch ne s’y trouvait pas. Il avait, comme tant, déserté l’entreprise Pontgallet après la mort du maître-maçon. Marguerite avait cependant ouvert la porte à cette petite famille et s’était montrée aussi
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