Un jour, je serai Roi
donnant sur les arbres joliment taillés de la place Royale, emploie un valet, dispose d’une servante, circule dans sa voiture. Doute-t-il de sa réussite ? Elle l’amuse quand il se remémore ses sinistres pensées dans l’église Saint-Médard. Mourir ? À quoi bon, maintenant ? Pour que son extase soit parfaite, il ne lui manque plus qu’à exécuter sa vengeance sur le clan La Place. De fait, un à un, ses pions avancent.
L’autre soir, il a croisé Antoine, le fils cadet de Voigny, au cours d’une réception chez le marquis de Villarceaux. Mais la rencontre ne fut pas fortuite. Villarceaux se dit peintre et c’est vrai. L’ami du poète Scarron aime l’art parce qu’il soulagerait la conscience et ouvrirait les âmes. Est-ce en usant de tels arguments qu’il parvint à convaincre la jeune épouse de Paul Scarron, pas encore Maintenon, de poser nue pour lui ? Il en reste une toile réussie 5 , témoignage de l’esprit qui règne autour de Villarceaux : peu de pudibonderie. Aussi, ces soirées sont-elles prisées. On y court si l’on est invité et la manœuvre a fonctionné à merveille lorsque Delaforge pria Villarceaux de convier un vieil ami, perdu de vue. Un garçon de bonne famille.
— Point trop, je l’espère, soupira-t-il.
— Un fils de marquis.
— Tous ne sont pas fréquentables, assura son hôte en pensant peut-être à lui.
— Un gentilhomme qui ne manque pas de conversation sur l’art, lui assura Delaforge en se souvenant que, plus jeune, Antoine de Voigny se prétendait séduit, attiré par les statues antiques.
— Eh bien ! s’exclama Villarceaux, je connais les La Place. Un fils soldat et que l’on dit brutal. Une fille, Aurore, bigote et sérieuse – mais Dieu ! que cette rousse est jolie. Et un autre fils, dites-vous ?
— Antoine… Plus discret.
— Oui, oui. Je le vois maintenant. Un bouclé, la chevelure en pagaille, piochant ses mots et plutôt gauche… Je ne le devine pas à l’aise, mais enfin, nous verrons. Je lui ferai porter une invitation.
Le jour dit, le jeune homme, convié à sa grande surprise, se présenta, intimidé, visiblement peu habitué à fréquenter ces lieux où les femmes sulfureuses de Paris et du Louvre comptent parmi les familières. Delaforge l’aperçut et l’observa de loin, mesurant combien le cadet des Voigny manquait d’expérience. Il se tenait raide, hésitant, cherchant à qui parler, n’osant saisir le verre de vin que lui tendait un serviteur. Il le laissa mûrir dans sa gêne jusqu’à la seconde où le candide allait renoncer et se retirer.
— Diable ! quelle surprise !
Le craintif Antoine de Voigny chercha un moment qui l’interpellait si cavalièrement. Soudain, il se figea. Toussaint Delaforge. L’orphelin qu’ils avaient accueilli, le filleul du jésuite Marolles et l’ami d’enfance d’Aurore… Il sourit maladroitement avant de se souvenir que ce fier jeune homme, vêtu comme un prince, accompagné d’une femme en tout point gracieuse, était aussi le double de celui qui s’était montré à l’église du couvent des Annonciades célestes, celui-là encore que son frère François avait humilié, blessé, quelques années plus tôt. Il crut peut-être qu’il allait se faire corriger, mais rien ne vint. Delaforge se montra aimable, chaleureux, tandis que ce rejeton maladroit entendait qu’on le présentait à la comtesse de Saint-Bastien, s’inclinant aussitôt devant elle et profitant quelques secondes de la vue que lui offrait son décolleté outrancier.
— Antoine, quel plaisir de vous revoir ! s’exclama Delaforge en le poussant à l’écart, privant son vis-à-vis de la vue de la comtesse.
L’orphelin affichait l’assurance d’un noble et ce ton familier renforçait sa prestance. Le jeune Voigny le détailla encore. Et vit enfin ce bras mort à la main gantée.
— Vous regardez ceci ? se moqua Toussaint.
Antoine rougit et resta muet.
— Le prix de l’infortune, mon cher. Passons là-dessus. Dites-moi plutôt ce qui va bien pour vous…
Il n’avait rien de l’être haineux, dangereux dont lui avait parlé le révérend Marolles. Et d’où lui venait cette solidité car, à n’en pas douter, il ne manquait pas de revenus ?
— Êtes-vous toujours féru de modèles antiques ? s’entendit-il demander.
— Oui, en effet… Et vous-même ? osa-t-il enfin.
— J’ai la même passion que vous pour l’art. Et l’immense joie de servir le premier architecte du roi.
— Le
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