Un jour, je serai Roi
l’espoir impossible et vain de le retrouver. Et par sa faute, La Place risque d’y mettre fin.
— Il est fort, tente-t-elle de s’opposer d’une voix tremblante.
— Il me reste un fils. François. Si vous avez raison, Delaforge y laissera la vie. Adieu, madame…
*
Le marquis s’en va, plus troublé que convaincu. La comtesse s’enferme dans sa chambre. Sapho a menti. La vengeance ne l’apaise pas. Ce qu’elle veut, c’est lui, Toussaint, vivant, de nouveau dans son lit. Elle se ronge ainsi jusqu’au soir, rumine, réfléchit, balaye tour à tour les sentiments qui l’habitent, s’avoue enfin ce qu’elle désire, en vérité. Toussaint est en danger par sa faute. Dès lors, elle seule peut le sauver. Oui, il peut comprendre qu’elle agit par amour, autant en l’ayant accusé hier qu’en voulant le protéger aujourd’hui. Au fond, cette affreuse histoire peut tourner en sa faveur. En s’y prenant bien, elle l’attirera, le verra, le touchera, l’embrassera, jouira encore de lui. À six heures, elle saisit une feuille, une plume, et écrit : « Tu es en péril. Viens me voir. Je t’aime. » Elle sonne Bonnefoix qui désespérait de voir réapparaître sa maîtresse.
— Cours ! Reviens avec une réponse…
Bonnefoix file place Royale. Toussaint ouvre et lit sur-le-champ. Bonnefoix revient. Il a la réponse. C’est Delaforge en personne qui entre chez Angélique.
1 - Une perche égale 18 pieds, soit environ 6 mètres.
2 - Il finira par la vendre. Frédéric Tiberghien ( Versailles, le chantier de Louis XIV, op. cit .) évoque une succession qui fit apparaître un passif de 600 000 livres…
Chapitre 40
F RANÇOIS DE V OIGNY accourt ventre à terre à Paris. Il a reçu la lettre de Marolles reprenant les accusations de la comtesse de Saint-Bastien à l’encontre de Toussaint. L’effet chez l’aîné est redoutable car le réquisitoire parvient le jour où son père l’informe également du décès de son frère. Il n’en faut pas plus pour que le soldat prenne le mors aux dents. Il ne gémit pas, ne pleure pas. Il crie vengeance. Le coupable se nomme Delaforge, cela ne fait aucun doute. Aussi ne s’interroge-t-il pas davantage. Le sang versé en blessant le bâtard au bras, il y a longtemps, l’a laissé sur sa faim, tel le chien qui mord une fois et devient pour toujours enragé. La haine qu’il éprouve envers le maudit orphelin s’explique grandement par l’affection que lui portait sa sœur, Aurore. C’est en somme une affaire de jalousie autant que de mépris. Il ne supportait pas ce souillon balafré qui occupait son territoire, son camp, violait ses frontières et se comportait en conquérant. Et désormais, il maîtrise encore plus parfaitement l’arme qui a déjà fonctionné contre Delaforge : il est guerrier, excellent dans tous les arts de son métier, voilà sa qualité. Son épée tranche les débats ; elle y met fin. Il a confiance en sa méthode.
Il selle son cheval, part le 1 er août avant midi et arrive à Paris le 5 au soir. Il enrage. Il ne peut rien apprendre de plus de son père car, l’informe un serviteur, celui-ci fait exactement le chemin inverse, accompagnant le corps de son fils qui sera enterré dans le domaine familial le 9 au matin. François ne dispose donc que de quatre nuits et de trois jours pour se faire justice et rentrer à temps afin d’assister à l’enterrement de son frère. Mais cet homme est inépuisable, courageux, habitué aux rudesses soldatesques. Au retour, il galopera à bride abattue, sans se reposer, trouvera des chevaux frais dans les relais, les achètera si besoin car il est riche. Il leur martyrisera les flancs avec sa cravache et ses bottes jusqu’à ce qu’ils rendent gorge. Fils d’un marquis, il y arrivera. Mais en ayant d’abord réglé ses comptes.
François de Voigny n’a pas besoin de son père pour trouver Delaforge puisque Marolles a pris soin d’écrire le nom de l’accusatrice condamnant l’infâme. Le 5 août, avant la nuit, il se présente chez la comtesse de Saint-Bastien, sans avoir pris soin de se changer. Sale, poussiéreux, il pue la sueur animale, mais sa silhouette racée, puissante, sa beauté brutale d’étalon émeuvent Angélique et lui rappellent Toussaint. Dans leurs veines coule la même passion, songe-t-elle. Ils sont pareillement orgueilleux, et formidablement convaincus de leur supériorité. L’un et l’autre iront jusqu’au bout et, s’ils se rencontrent, à coup
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