Un jour, je serai Roi
hargne avant de fuir à son tour.
Mais la voix du tortionnaire a flanché. Granchard, le second de Ravort, en est sûr : son chef a dégluti et la cire de la bougie est venue mourir sur sa main parce qu’il tremblait et manquait d’assurance.
Cette nuit-là et les suivantes, Toussaint ne subit plus la loi des pensionnaires. Ravort a pris l’habitude de l’ignorer. Dans ce dortoir, il y a d’autres proies – de plus faciles à tourmenter. S’il croise Toussaint, il baisse la tête. Ainsi, chacun se construit à sa façon. Les lâches ou les puissants de leur côté ; Toussaint Delaforge d’un autre, dans un monde par lui seul fréquenté.
Chapitre 10
L E 7 JUIN 1654, Louis XIV entre dans la cathédrale de Reims ; il vient pour être sacré. Le royaume est à la fête. Il dansera, chantera, festoiera, ses canons et ses mousquets se feront entendre. En ce jour extraordinaire, le Père supérieur de l’estimable collège de Montcler a accordé un peu de liberté aux ouailles dont il a la charge. Ainsi, tandis que Louis Dieudonné pénètre dans le chœur de Reims où s’exposent les tentures festonnées de la couronne et les plus beaux tapis d’Asie, et qu’il progresse à pas lents sur les premières notes du Veni Creator chanté par une armée de moines grégoriens, Delaforge avance, lui, vers les portes d’un collège qu’il quittera pour la première fois depuis huit ans.
Dans un instant, Louis, le nouveau roi David, portera un long manteau violet sur lequel a été brodée une multitude de lys, et ses bottines, éperonnées d’or, jetteront mille feux sur les vitraux de Reims. Épée, tunique, sceptre, diadème… les ornements royaux ont été apportés de Saint-Denis. L’autre, le bâtard, filleul de Joseph de Marolles, est vêtu d’une veste de laine qu’il devra user jusqu’à l’hiver – plus tard encore, si les manches rapiécées résistent aux frottements des coudes sur la table en chêne pendant les longues heures d’étude. Dans la cathédrale, ils sont mille à prier, s’incliner, se prosterner au passage du roi. Marie veille sur l’enfant miraculé depuis sa naissance, et la prophétie de Cotignac s’est réalisée. À presque seize ans, le prince donné par Dieu ne lâche pas du regard l’autel où l’attend le Tout-Puissant. Il vient à Lui, à sa Cour, à son peuple, tel le danseur des ballets qu’il aime orchestrer. La grâce est son double ; à ceux qui ne résistent pas à l’envie de le regarder, il montre son profil sculpté par la beauté et dont l’aura affadit l’éclat laiteux et immaculé des cierges s’élevant vers les voûtes. Il est l’élégance, le calme, la puissance quand il rejoint le comte de Vivonne. Posté au centre de la travée centrale, ce fils du marquis de Mortemart, gouverneur des évêchés de Metz et de Verdun, premier gentilhomme de la chambre, prend la place du chambellan qui, à l’instant, aidait Sa Majesté à revêtir une dalmatique 1 cousue d’or et d’argent. Non loin, voici le duc d’Anjou, et tant de seigneurs, tant de courtisans, encadrés par les Suisses, ces gardes inflexibles, triés sur le volet dont les cent regards s’alignent à l’unisson. Toussaint est seul, et tandis que tous acclament le roi – Vivat rex in aeternum –, à Paris, rue de l’Université, Calmés, le préfet de discipline, saisit son élève par la manche :
— N’oubliez pas. Retour à cinq heures et je vous questionnerai sur ce qui s’est produit cette nuit. Je ne vous lâcherai pas, Delaforge. En attendant, restez humble, ne répondez pas aux provocations de la rue, ne cédez à aucune tentation. Vous êtes du collège de Montcler. Représentez dignement votre maison.
Il penche le nez :
— Qu’avez-vous dans ce sac ? demande-t-il avec brutalité.
Compte tenu des événements qui se sont produits, Calmés se montre méfiant. Toussaint ouvre son baluchon. Il y a si peu. Un ouvrage auquel il tient plus que tout. Les Quatre Livres de l’architecture , écrit par Andrea Palladio 2 .
— Vous n’en aurez pas besoin, s’adoucit le jésuite. Donnez-le moi.
Toussaint s’exécute. Si Calmés l’avait fouillé, il aurait aussi trouvé un couteau, caché sous sa chemise, dans le dos, à hauteur de la ceinture.
Dans la cathédrale de Reims, l’évêque de Soissons saisit l’épée du roi, celle de Charlemagne, puis la bénit. À tous, il montre la sainte ampoule contenant le saint chrême 3 . L’onction est proche. Il prie
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