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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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manque des hosties. Avoue que tu t’es nourri au corps du Christ !
    Que deviendraient ces fades fragments de pain sans levain sous les coups de boutoir du puissant Pontgallet ? Toussaint Delaforge se taisait. Il réfléchissait. Détruire… Quelqu’un avait le pouvoir de le faire, d’agir, de fracasser et de briser ce qu’il y avait de plus sacré sur terre. Plus beau, plus rare, bien plus cher, bien mieux encore que la vaisselle en porcelaine du marquis de La Place dont il avait cassé le saladier l’été dernier. On l’avait maudit pour ce qui n’était que maladresse, mais un homme était autorisé à mettre à sac la chapelle sans qu’on le chasse, l’accable ou le punisse. Si lui-même devenait maçon, se disait-il alors qu’il recevait le châtiment de Calmés et que la douleur aggravait ses divagations, il pourrait se venger. Tenir le fouet. Tuer, peut-être. Que dirait-on ? Rien, s’il était maçon, puisque le père Baltius encourageait le maître Nicolas Pontgallet à produire le Mal.

    Toussaint Delaforge a sept ans. N’est-ce pas l’âge de raison ? Le fouet seul lui sert de méthode pour apprendre, grandir. Pour ce garçon sans autre tuteur qu’un manche de bois orné de six lanières, qu’une poigne intraitable, que ce dos endolori, la vérité sera désormais ce à quoi il croit. À qui confier ses doutes ou ses espoirs si personne ne lui montre comment devenir dignement fort ? Alors, il se forge sa propre morale : être à jamais plus puissant que Ravort et tous ceux qui font cercle, le regardent souffrir. En meurtrissant un corps, le cuir n’endurcit qu’une vie. Le père Calmés a raison et tort. La souffrance, les privations feront mûrir le puni. Mais à l’inverse de ce qu’espère le jésuite. Cet enfant ne gagne rien en sagesse ; il ne sera pas soumis. En revanche, il se fabrique à sa façon, en secret. Ainsi, la méthode séculaire du fouet échoue, et le soldat chargé de l’appliquer ne s’en rend pas compte. Toussaint grimace-t-il ou sourit-il alors que le fléau cesse d’agir ? Calmés se demande s’il a frappé assez fort pour être juste ; Toussaint réalise que la souffrance l’a rendu plus solide. Ce jour-là, tout se fixe chez lui, et rien ne changera. Il sait ce qu’il fera : résister, puis détruire pour se venger de tout. De ce père et de cette mère qui l’ont abandonné, du marquis de La Place et de ses fils qui l’ont détesté, de Marolles et de sa froide indifférence, du collège, de la cruauté des maîtres, des collégiens qui le haïssent et, sans exception, de tous ceux qui, désormais, barreront sa route. Pour cela il doit être redouté, craint, respecté comme Pontgallet. Maçon ? Ainsi, il bâtirait ou détruirait à sa guise et ne serait jamais misérable. Au dernier coup de fouet, la douleur s’efface. Il se sent indomptable, indestructible. Il a choisi quel chemin emprunter.
    Ravort a tourné les talons, mais Delaforge ne le quitte pas des yeux. Un jour, lui aussi payera. Avant, il faut apprendre, patienter, se montrer faussement docile puis, telle une bête jaillissant de l’ombre, punir, anéantir ce monde dont il est prisonnier.

    Cette nuit-là, Toussaint ne subit pas la loi des pensionnaires. Pourtant, à l’extinction des feux, Ravort encercle son lit, accompagné de sa cour. Il tient une bougie en main qu’il approche du visage du persécuté, mais ce dernier ne dort pas. Il fixe Ravort et ne cède rien. Il le provoque même et, au grand étonnement de ses complices, Ravort ne sait comment s’y prendre, simplement répondre. Et tant d’incertitude décide Delaforge. Voici l’occasion d’éprouver ce qui fonde sa morale. Est-il vrai que la force peut tout détruire ? Déjà, il sort du lit, nu, et reste ainsi, campé sur ses jambes, avant de tourner le dos à ses tortionnaires. Ainsi, on voit les traces du fouet. Puis il croise les bras et déclare clairement :
    — Frappe plus fort que le curé, Ravort. Frappe pour me tuer, car si j’en réchappe…
    C’est la première fois que Ravort et les autres entendent tant de mots sortir de la bouche de Delaforge, et sa voix ne faiblit pas :
    — Frappe ou je te crève !
    Le révolté parle fort. Il y a du mouvement dans le dortoir. On se réveille, lève la tête. Bientôt, le surveillant se montrera.
    Les lâches encerclant Ravort comprennent qu’ils risquent gros si on les surprend debout. Alors, ils se dispersent.
    — On viendra demain, glisse Ravort sur un ton plein de

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