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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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préfet de discipline est de soumettre, sans briser ce qu’il y a de meilleur en chacun. Pourquoi pas architecte ? songe-t-il encore en apercevant la silhouette de Marolles à l’entrée de Montcler. Qui sait ? Delaforge parviendra peut-être à profiter de l’entregent de son parrain…
    Une dernière fois, il s’approche de Toussaint, qui, lui, semble insensible à l’apparition de Marolles. Aussitôt, l’élève serre à nouveau le poing, comme s’il se sentait menacé ou pour se défendre.
    — Encore un effort, et la vie s’ouvrira devant vous, glisse Calmés qui n’a pas vu son geste.
    Passe-Muraille s’exprime avec douceur, indice fragile et maladroit d’une affection qu’il s’interdit généralement de prodiguer.
    — Je ne vous ai jamais détesté, répond Toussaint. Même quand vous m’avez injustement frappé alors que j’avais sept ans.
    Calmés en reste muet. Une émotion l’assaille. Ne pas détester, est-ce comme aimer ? Et pourquoi en parle-t-on au passé ? Sa méfiance revient. Il devine une menace, plutôt un avertissement. Il voudrait interroger Toussaint, mais ce dernier s’éloigne et rejoint un Marolles affichant la même froideur que son filleul. Entre eux, pas un mot n’est échangé – pas même un sourire. De loin, le jésuite s’incline pour saluer Calmés. Ce sera tout.
    *
    Marolles et Toussaint marchent côte à côte, en silence. Et ce n’est qu’après avoir franchi cent pas que le collégien de Montcler desserre le poing qu’il gardait fermé. Dans le creux de la paume, il cache une fleur desséchée, une rose semble-t-il, ou ce qu’il en reste tant ses pétales furent comprimés, et tant le jour où ils se sont éclos paraît daté.

Chapitre 12
    M AROLLES NE SAIT COMMENT s’y prendre avec son filleul. Faut-il lui parler, faut-il se taire ? Trop d’absence et d’inconnues les séparent. Toussaint n’a aucun regard, aucun geste pour le révérend. Il va seul, indifférent à celui qui l’accompagne. Pour la première fois, personne n’ordonne sa vie, et il ne songe qu’à goûter à la liberté. Mais pourra-t-il en apprécier les délices en si peu de temps ? De retour à Montcler, qu’adviendra-t-il ? À l’évidence, on le trahira, un élève racontera à Calmés la façon dont Ravort fut défenestré. Pourtant, Delaforge ne paraît pas inquiet et, faute d’autres indices, sa légèreté s’explique par l’inconscience de la jeunesse. Il faut croire qu’il veut oublier ce qu’il se produira nécessairement quand, de retour, il sera face à Calmés. Ses presque seize ans – il en fait d’ailleurs un ou deux de plus, et les aura dans trois mois – lui soufflent de profiter de ces quelques heures, émancipé du joug du collège. Tant de légèreté déconcerte. Se croit-il supérieur depuis sa victoire sur le tyran du dortoir ? En pèse-t-il les risques ? L’exclusion, l’internement dans une institution redoutable, sans doute le bagne 1 . Se moque-t-il des suites ? La froide détermination qu’il affichait la nuit dernière – cette façon de dominer son monde – signifie-t-elle qu’il s’imagine intouchable ?
    Il marche à pas lents, tourne la tête, regarde sur sa gauche, sur sa droite et derrière, comme s’il ne voulait pas lâcher ce qu’il vient de voir. Et Marolles l’observe en silence, imaginant qu’il faut laisser faire ce moment. Qu’il s’agit simplement d’un excès d’émotions brutales se libérant d’un coup. N’ont-ils pas la journée pour se parler ?

    Toussaint est sorti si peu de Montcler qu’il ne connaît rien ou presque des rues, des arbres, des gens de cette ville. Les beaux jours, on le menait parfois au jardin du Luxembourg en empruntant la rue d’Enfer, hantée, racontait-on, par le diable Vauvert 2 . Et Toussaint se disait que, si la tanière du mal ressemblait aux lieux vers lesquels il se rendait, Calmés aurait fort à faire pour le décourager de ne pas céder à ses tentations. Les jardins imaginés pour Marie de Médicis, la mère de Louis XIII, regorgeaient en effet de trésors délicats. L’œil s’attardait sur les bosquets, les fontaines, les statues sculptées par un artiste qui aurait voulu assouvir les rêveries de l’adolescent. Alors que les autres internes organisaient deux camps pour s’adonner à des jeux dont la règle unique était de se battre, lui s’échappait au hasard des allées qui le conduisaient chaque fois vers des royaumes différents. Il se nourrissait du

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