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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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silence qui n’existait jamais à Montcler, laissant faire de lui-même le chemin dessiné par les feuilles mortes craquant sous ses pieds.
    Il choisissait, comme destination finale, l’immense palais du jardin érigé par l’architecte de génie Salomon de Brosse. Il s’imaginait à ses côtés, choisissant la hauteur d’un pignon, la courbe ou le délié d’un balcon, la taille et l’équilibre des fenêtres, le nombre exact de marches qui formeraient la volée des escaliers et leur donneraient un bel équilibre. Vingt marches lui semblaient parfait. Et s’il devait un jour bâtir – bientôt il le déciderait aussi simplement que de détruire –, ses marches à lui seraient larges et solides afin qu’un hardi chevalier les gravisse au galop. Il divaguait ainsi, flânait tant que Passe-Muraille ne déboulait pas, exigeant de son air austère qu’il rentre dans le groupe et se mette en rang car c’était l’heure du retour. Il lui fallait alors ronger son frein, attendre l’escapade suivante et, pour seul réconfort, tendre l’oreille dans l’espoir de capter les bruits de la ville, le pas pressé des habitants allant librement, à un jet de pierre de l’étude spartiate de Montcler. Fuir ? Bien sûr, il y réfléchissait souvent, mais ne se sentait pas prêt. Il lui manquait la force et l’audace. Le temps et la patience étaient ses alliés. Oui, le torrent grondait, même s’il fallait attendre avant qu’il ne déborde, et pendant que la vague se formait, Toussaint préparait son futur et, puisqu’il tardait trop, il cherchait le moyen de le hâter. S’évader ? Il y revenait sans cesse. Mais après avoir échappé à la vigilance des jésuites, comment, simplement, manger ? Il devrait se battre, tuer, peut-être. Saurait-il s’y prendre ? Afin de trancher cette question et de mettre fin à ses doutes, il avait pris la décision d’éprouver sa volonté et sa vigueur le moment venu. Pour cela, il y avait Ravort. S’il triomphait de lui et de la terreur qu’il sécrétait, il saurait ce qu’il valait vraiment. S’il perdait, à quoi bon vivre ? Pour se préparer à ce rendez-vous crucial, il fallait se convaincre de ne jamais renoncer, et surtout de ne pas tourner les talons, de ne pas avoir peur à l’heure de l’affrontement. Quoi d’autre ? Se munir d’une arme solide. Lorsque le maçon Pontgallet travaillait sur la chapelle, Toussaint avait réussi à lui chaparder un couteau pointu. Depuis, quand il se rendait au jardin du Luxembourg, et dès que Calmés relâchait son attention, il aiguisait la lame sur le socle des statues, ses seules confidentes.

    Les nuits qui suivaient les promenades dans le jardin de Marie de Médicis, Toussaint s’interrogeait aussi sur ce qu’il ferait, une fois dehors. Que connaissait-il de la vie ? Comment en devenait-on le maître, tel le maçon Pontgallet ? Le jardin du Luxembourg constituait l’infime partie d’un monde dont il devinait qu’il regorgeait de trésors et de dangers. Chez le marquis de La Place, il était trop petit pour s’y intéresser. De son arrivée à Montcler, il ne restait que des images floues. Au cours de ces huit années, il s’était rendu trois fois en cortège à Notre-Dame pour la fête d’un saint (lequel ?) et aussi afin d’honorer un mort (un seigneur ?). Il se souvenait surtout d’avoir compté ses pas avant de toucher le parvis de la grande église. Deux mille cent vingt et un. Il était revenu l’an passé à Notre-Dame pour écouter un prédicateur menacer les élèves d’être maudits s’ils n’obéissaient pas aux Lois du Seigneur. À quinze ans, ce souvenir-ci restait plus clair.
    Pour entendre un sermon tant de fois rabâché, les portes de Montcler s’étaient donc entrouvertes. Entraîné par la voix cadencée de Passe-Muraille interdisant de frotter les sandales sur le pavé rugueux, mêlé au long serpent noir que formait la colonne des internes, Toussaint marchait nez en l’air, observant la façade des bâtisses, découvrant le curieux nom que l’on donnait aux auberges – Trois Casseroles , Le Chien Fumant , Renard Corsé –, et il humait le parfum enivrant des tonneaux de bière et le gras de cuisson qui s’échappait des bouges à l’entrée sombre. Il accrochait au passage les bribes de la conversation des Parisiens qui semblaient s’amuser d’un rien et se plaindre de tout. Bientôt, il serait l’un des leurs.
    À chaque nouvelle sortie, il s’orientait un peu mieux, la

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