Un jour, je serai Roi
connaisse la réponse.
Au piquet, l’as vaut onze, le roi, la dame, le valet, dix. Puis dix pour le dix, neuf pour le neuf, huit pour le huit, etc. Beltavolo tenant six trèfles, c’est dans cette couleur (la mieux fournie) qu’il compte ses points :
— Cinquante-trois.
Delaforge fait de même. Il possède cinq carreaux, sa majeure. Mais la plus forte n’est qu’au roi :
— Quarante-sept.
Ravort respire :
— Beltavolo l’emporte. Cinq points pour lui.
Voilà ce que gagne le jeu le plus fort. Mais ce n’est pas fini.
— Maintenant, les enchères, glisse l’arbitre en tentant de rester de marbre.
Beltavolo a deux tierces, l’une à trèfle, donc (as, roi, dame) et une à cœur, à hauteur du valet. Il les annonce.
— Six points de plus, récite le Tordu . Onze, au total. À toi…
Delaforge a sa quatrième à carreau.
— Quatre points…
Et une tierce à pique.
— Trois nouveaux points. Sept au total. C’est tout ?
Ravort connaît la réponse et ne peut s’empêcher de grimacer. Le lutteur des arènes est battu…
— Et un brelan de sept : carreau, cœur, pique, renchérit ce dernier.
L’enfant de catin a pris dans l’écart le sept rejeté par ce crétin de Beltavolo !
— Ajoute-moi trois points, glisse Delaforge d’une voix calme. Et si je compte bien, cela fait dix en tout.
Allons, allons, tente de se rassurer Ravort, il reste le jeu de la carte. Comme à la bataille, la plus forte gagne le pli. Et la distribution est ainsi faite, qu’au pire les plis seront répartis à égalité. Dans ce cas, les points du jeu sont annulés. On restera sur le onze à dix et Beltavolo l’emportera.
— Commencez, dit-il d’une voix blanche.
Beltavolo attaque. Trois plis pour lui, les trois suivants pour Delaforge, et ainsi jusqu’au dixième : égalité parfaite. Si Beltavolo emporte le onzième, il en comptera six. Il ne peut plus être battu.
— As ! hurle-t-il.
Delaforge n’a qu’un valet. Aussitôt, Beltavolo jette sa dernière carte, un petit huit, battu par un dix.
— Six plis de chaque côté, déclare Ravort. Égalité. Les points de jeu sont annulés. On en revient aux enchères…
Delaforge est donc mort.
— Je ne crois pas, glisse-t-il pourtant. En cas d’égalité de plis, le dernier compte double. C’est la règle.
C’est vrai, et Traîne la patte ne peut l’ignorer.
— Il existe des versions, tente-t-il, où ce codicille n’est pas pris en compte.
— Je n’en connais pas, répond Delaforge calmement.
La salle est de son avis. Elle commence à crier au scandale.
— Silence ! braille Beltavolo.
Le calme revient de suite.
— Dans ce cas, nous serions à égalité. Onze à onze, jette-t-il en adressant à Ravort un regard criminel.
— Je le crains, bredouille ce dernier.
Beltavolo se lève brusquement et lui saute à la gorge :
— Il n’y a qu’un gagnant ! C’est ma règle, sale petite ordure de négociateur !
Sa miséricorde jaillit, la lame fend le cou. Le sang monte dans la gorge, étouffe le boiteux qui s’effondre. Sans attendre, Beltavolo est déjà face à Delaforge.
— Maintenant à toi ! Que fait-on en cas d’égalité ?
Son visage est celui du damné :
— Je prends ton trésor, et toi, Eva ? On se quitte bons amis, et bonne chance aux tourtereaux !
Sa chemise, sa main armée sont couvertes du sang de Ravort.
— Qui es-tu pour venir m’humilier ?
— Je te donne les mille livres, c’est entendu, répond calmement Delaforge. Pour Eva, à elle de décider. Tu l’as dit tout à l’heure.
Beltavolo cligne des yeux. De quel monde revient-il ? Il essuie la bave coulant de sa bouche avec sa manche passée aux couleurs du carmin et secoue la tête.
— Oui, murmure-t-il, un contrat est un contrat. Je te la donne. Mais l’accord ne disait pas que tu l’aurais vivante.
Beltavolo pointe la lame de sa miséricorde, un sourire fou aux lèvres :
— Il te reste son corps. Moins chaud que lorsque tu forniquais.
Le coup est terrible. Eva. Morte ? Le regard de son jeune amant faiblit. Il baisse les yeux. Il croit l’entendre gémir de plaisir et ce matin encore…
— Et même froide, tu devras me tuer pour venir la chercher, chuchote Beltavolo, qui se jette en avant.
Un geste, et il sera sur sa proie.
— Toussaint ! braille Raymond la Montagne qui voit la manœuvre. Regarde devant toi !
L’habitude revient, le lutteur des arènes fait face, saisit la lame du couteau caché sous le bandage de son bras droit. Et il
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