Un long chemin vers la liberte
un juge qui nous a inculpés de sabotage. Quelques jours plus tard, nous avons pu rencontrer Bram, Vernon Berrangé, Joel Joffe, George Bizos et Arthur Chaskalson qui nous représentaient. J’étais toujours séparé des autres en tant que prisonnier condamné et ces audiences furent mes premières occasions de parler avec mes camarades.
Bram était très sombre. De sa voix calme, il nous dit que le procès qui nous attendait était extrêmement grave et que l’accusation l’avait informé qu’elle demanderait la sanction maximale prévue par la loi, la peine de mort. Etant donné l’atmosphère générale, expliqua Bram, il s’agissait d’une possibilité tout à fait vraisemblable. A partir de cet instant, nous avons vécu à l’ombre des potences. La simple possibilité d’une condamnation à mort change tout. Depuis le début, nous avons considéré que c’était l’issue la plus vraisemblable. Récemment, certains avaient été condamnés à mort pour des crimes bien moins graves que les nôtres.
Les gardiens de prison ne nous laissaient pas oublier que nous pouvions être pendus. Ce soir-là, l’un d’eux a frappé à ma porte à l’heure du coucher. « Mandela, ne te fais pas de souci pour le sommeil. Tu vas bientôt dormir longtemps, très longtemps. » J’ai attendu quelques instants et je lui ai répondu : « On va tous dormir longtemps, très longtemps, toi compris. » C’était une maigre consolation.
55
Le 9 octobre 1963, on nous a fait monter dans un fourgon cellulaire lourdement blindé. Au centre, il y avait une cloison métallique qui séparait les prisonniers blancs des Africains. On nous a conduits au palais de justice de Pretoria où siège la Cour suprême, pour l ’ ouverture du « Procès du Haut Commandement national et autres », ce qui plus tard est devenu le « Procès de Nelson Mandela et autres », et qu ’ on connaît mieux sous le nom de « Procès de Rivonia ». Près du tribunal se dresse une statue de Paul Kruger, le président de la république du Transvaal qui a combattu l ’ impérialisme britannique au XIX E siècle. En dessous de ce héros afrikaner, il y a une citation tirée d ’ un de ses discours. « En toute confiance, nous présentons notre cause au monde entier. Que nous soyons victorieux ou que nous mourions, la liberté se lèvera sur l ’ Afrique du Sud comme le soleil se lève en sortant des nuages du matin. »
Notre fourgon se trouvait au milieu d’un convoi de camions de police. En tête, il y avait des limousines qui transportaient des officiers supérieurs de la police. Le palais de justice grouillait de policiers en armes. Pour éviter l’immense foule de nos partisans, on nous a conduits à l’arrière du bâtiment et on nous a fait entrer par un énorme portail de fer. Il y avait des policiers au garde-à-vous avec des pistolets mitrailleurs. Quand nous sommes descendus du fourgon, nous avons entendu la foule qui chantait. A l’intérieur, on nous a enfermés dans des cellules en dessous de la salle du tribunal avant l’ouverture de ce que les journaux nationaux et internationaux ont décrit comme le procès politique le plus important de l’histoire de l’Afrique du Sud.
En sortant des cellules, deux gardes armés ont escorté chaque prisonnier. Quand nous sommes entrés dans la salle d ’ audience, nous nous sommes tournés vers le public en faisant le salut de l ’ ANC, le poing levé. Dans la salle, nos partisans ont crié : « Amandla Ngawethu ! » et « Mayibuye Afrika ! » . C ’ était réconfortant mais dangereux : la police prenait les noms et les adresses de ceux qui se trouvaient dans la salle et les photographiait quand ils s ’ en allaient. Le tribunal était rempli de journalistes sud-africains et internationaux et de dizaines de représentants de gouvernements étrangers.
Quand nous avons tous été réunis, un groupe de policiers a formé un cordon entre nous et le public. Devoir me présenter devant le tribunal dans le costume de la prison, avec un short kaki et des sandales de mauvaise qualité, me donnait la nausée.
En tant que condamné, je n’avais pas la possibilité de porter des vêtements corrects. Beaucoup de gens parlaient de ma pauvre allure, et pas seulement à cause de ma garde-robe. Pendant des mois, j’avais connu sans cesse des périodes d’isolement et j’avais perdu plus de douze kilos. Je faisais des efforts pour sourire au public quand
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