Un long chemin vers la liberte
s’inquiétait pour ma santé : on lui avait raconté que nous étions maltraités physiquement. Je lui ai rapidement dit que j’allais bien et elle pouvait se rendre compte que j’étais en forme, bien qu’un peu plus mince qu’avant. Elle aussi avait maigri, ce que j’attribuais à la tension. Après une visite où le visage de Winnie m’apparaissait tiré ou tendu, je lui demandais de reprendre un peu de poids. Elle suivait toujours un régime et je lui demandais de ne pas le faire. Je l’ai interrogée sur chacun des enfants, sur ma mère et mes sœurs et sur sa famille.
Soudain, j’ai entendu le gardien derrière moi qui disait : « C’est l’heure ! C’est l’heure ! » Je l’ai regardé, incrédule. Il n’était pas possible qu’une demi-heure se fût écoulée. Mais il avait raison ; les visites semblaient toujours filer en un clin d’œil. Pendant toutes les années où je suis resté en prison, j’ai toujours été surpris quand le gardien criait « C’est l’heure ! ». On nous a bousculés de nos chaises et nous nous sommes fait un petit au revoir de la main. J’ai toujours eu envie de m’attarder un peu après le départ de Winnie simplement pour garder la sensation de sa présence, mais je n’ai jamais laissé paraître une telle émotion devant les gardiens. En revenant dans ma cellule, j’ai repassé dans ma tête tout ce dont nous avions parlé. Pendant les jours, les semaines et les mois suivants, je me suis souvent remémoré cette visite. Je savais que je ne pourrais pas revoir ma femme avant au moins six mois. Mais en fait, Winnie n’a pas pu me rendre visite pendant deux ans.
64
Début janvier, un matin, alors que nous nous alignions pour qu ’ on nous compte avant d ’ aller travailler dans la cour, on nous a conduits à l ’ extérieur et fait monter dans un camion bâché. C ’ était la première fois que nous quittions notre prison. Personne ne nous a dit où nous allions, mais je m ’ en doutais un peu. Quelques minutes plus tard, nous sommes descendus du camion dans un endroit que j ’ avais déjà vu lors de mon premier séjour sur l ’ île : la carrière de pierre à chaux.
Cela ressemblait à un énorme cratère blanc taillé sur le versant d’une colline pierreuse. Les à-pics et le pied de la colline étaient d’une blancheur aveuglante. Au sommet de la carrière, il y avait de l’herbe et des palmiers, et en bas, une clairière, avec quelques vieux hangars en tôle.
Un officier, le colonel Wessels, nous attendait ; un type assez terne qui ne s’occupait que du respect très strict des règlements. Nous sommes restés au garde-à-vous pendant qu’il nous expliquait que nous ferions ce travail pendant six mois et qu’ensuite on nous donnerait une tâche plus facile jusqu’à la fin de notre détention. Son calcul était particulièrement faux. Nous’sommes restés dans la carrière pendant les treize années suivantes.
Après le discours du colonel, on nous a donné des pioches et des pelles et quelques instructions sur l’extraction de la chaux. Il s’agit d’un travail compliqué. Le premier jour, nous étions maladroits avec nos outils et nous n’en avons pas extrait beaucoup. La chaux elle-même est le résidu calcifié et tendre de coquillages et de coraux, enterrés sous des couches de rocher. On devait casser la pierre avec une pioche pour atteindre la chaux et l’extraire avec une pelle. Il s’agissait d’un travail beaucoup plus pénible que celui de la cour et, les premières journées à la carrière, nous nous endormions tout de suite après le souper, à 16 h 30. Nous nous réveillions le lendemain matin encore fatigués et les muscles douloureux.
Les autorités ne nous ont jamais expliqué pourquoi elles nous avaient transférés de la cour dans la carrière. Elles avaient peut-être besoin de chaux pour les routes de l’île. Mais quand, plus tard, nous en avons discuté, nous avons pensé que c’était une autre façon de durcir la discipline, de nous montrer que nous ne différions pas des autres prisonniers – qui travaillaient dans une carrière de pierre de l’île – et que, comme eux, nous devions payer pour nos crimes. Les autorités voulaient briser notre volonté.
Mais les premières semaines à la carrière eurent sur nous l’effet inverse. Malgré nos mains couvertes d’ampoules et de plaies, nous nous sentions revigorés. Je préférais de beaucoup travailler
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