Un long chemin vers la liberte
inscrive à Fort Hare et j ’ eus le plaisir d ’ y être admis. Avant d ’ y aller, le régent m ’ acheta mon premier costume. Un costume gris croisé dans lequel je me sentis adulte et à la mode ; j’avais vingt et un ans et je n ’ imaginais pas qu ’ il y eût à Fort Hare quelqu ’ un plus élégant que moi.
J’avais l’impression qu’on allait me former pour réussir dans le monde. J’étais heureux qu’un membre de la famille du régent obtienne un diplôme universitaire. Justice était resté à Healdtown pour passer son bac. Il préférait le sport aux études et avait des résultats assez médiocres.
Fort Hare avait été fondé en 1916 par des missionnaires de l ’ Eglise écossaise, sur l ’ emplacement de ce qui avait été au XIX E siècle le plus grand fort de la frontière à l ’ est du Cap. Construit sur un plateau rocheux et entouré par un méandre de la rivière Tyume, Fort Hare était parfaitement situé pour permettre aux Britanniques de lutter contre le vaillant guerrier xhosa Sandile, le dernier roi Rharhabe, que les Britanniques avaient vaincu dans l ’ une des dernières batailles de la Frontière, en 1800.
Fort Hare ne comptait que 150 étudiants et j’en connaissais déjà une douzaine de Clarkebury et d’Healdtown. J’y rencontrai pour la première fois K.D. Matanzima. Bien qu’il fût mon neveu d’après la hiérarchie tribale, j’étais plus jeune et bien moins sûr de moi que lui.
K.D. était étudiant de troisième année et il me prit sous son aile. Je le respectais comme j’avais respecté Justice.
Comme nous étions tous deux méthodistes, on m’a placé dans sa résidence, Wesley House, un bâtiment agréable à un étage à la limite du campus. Sous sa tutelle, j’ai assisté aux services religieux dans la ville toute proche de Loveday, j’ai joué au football (jeu auquel il excellait) et d’une façon générale j’ai suivi ses conseils. Le régent ne voulait pas envoyer d’argent à ses enfants et j’aurais eu les poches vides si K.D, n’avait pas partagé ce qu’il possédait avec moi. Comme le régent, il considérait que je serais le conseiller de Sabata, et il m’encouragea à étudier le droit.
Comme Clarkebury et Healdtown, Fort Hare était un établissement scolaire de mission. On nous exhortait à obéir à Dieu, à respecter les autorités politiques, et à nous montrer reconnaissants envers le gouvernement et l’Eglise qui nous donnaient la possibilité de nous instruire. On reprochait souvent à ces écoles d’avoir des attitudes et des pratiques colonialistes. Cependant, malgré cela, je pense que les bénéfices que nous en tirions l’emportaient sur les désavantages. Ces missionnaires construisaient et dirigeaient des écoles alors que le gouvernement en était incapable ou du moins peu disposé à le faire. L’environnement scolaire des établissements de mission, tout en étant rigide sur le plan moral, était souvent plus ouvert que les principes racistes sous-jacents des écoles gouvernementales.
Fort Hare a accueilli et formé quelques-uns des plus grands universitaires africains que le continent ait connus. Le professeur Z.K. Matthews était le modèle même de l ’ intellectuel africain. Fils de mineur, il avait été influencé par l ’ autobiographie de Booker T. Washington, Up from Slavery, qui prêchait la réussite par un travail assidu et la modération. Il enseignait l ’ anthropologie sociale et le droit, et parlait sans ménagement de la politique sociale du gouvernement.
Fort Hare et le professeur D.D.T. Jabavu sont virtuellement synonymes. Il avait été le premier professeur quand l’université avait ouvert ses portes en 1916. Le professeur Jabavu avait obtenu une licence d’anglais à l’université de Londres, ce qui semblait un exploit impossible. Il enseignait le xhosa ainsi que le latin, l’histoire et l’anthropologie. C’était une véritable encyclopédie quand il abordait la généalogie xhosa et il me raconta sur mon père des choses dont je n’avais jamais entendu parler. C’était aussi un défenseur convaincant des droits des Africains, et il devint le président de l’All-African Convention (Convention panafricaine) en 1936, qui s’opposait à la législation destinée à mettre fin au droit de vote des Noirs dans la province du Cap.
Je me souviens qu ’ une fois, alors que j ’ allais de Fort Hare à Umtata par le train dans le compartiment réservé aux
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