Un long chemin vers la liberte
déroulait autant à l’extérieur qu’à l’intérieur des salles de classe. Je faisais beaucoup plus de sport qu’à Healdtown. A cause de deux facteurs : j’étais devenu plus grand et plus fort et, ce qui était plus important, Fort Hare était beaucoup plus petit qu’Healdtown et il y avait moins de concurrence. J’étais capable de faire du football et du cross-country. Courir me donna d’excellentes leçons. Dans les compétitions de cross-country, l’entraînement comptait plus que les capacités naturelles et, avec de l’application et de la discipline, je pouvais compenser un manque d’aptitudes physiques. J’appliquais cette méthode dans tout ce que je faisais. Même étudiant, j’ai vu quantité de jeunes hommes avec de grandes capacités naturelles mais qui manquaient de discipline et de patience pour tirer profit de leurs dons.
Je faisais aussi partie de la troupe théâtrale et j’ai joué dans une pièce sur Abraham Lincoln adaptée par mon camarade de classe, Lincoln Mkentane. Mkentane était issu d’une bonne famille du Transkei et je suivais son exemple. C’était le seul étudiant de Fort Hare plus grand que moi. Mkentane jouait le rôle de celui dont il portait le nom et je jouais celui de Wilkes Booth, son assassin. Mkentane interprétait son personnage avec dignité et solennité et l’un de ses plus grands discours, celui de Gettysburg, remporta une véritable ovation. Mon rôle était le plus court mais j’étais l’élément moteur de la morale de la pièce, selon laquelle les hommes qui prennent de grands risques doivent s’attendre à en supporter souvent les lourdes conséquences.
Je devins membre de l’Association chrétienne des étudiants qui enseignait la Bible le dimanche dans les villages environnants. Au cours de ces expéditions j’avais comme camarade un jeune étudiant en sciences, très sérieux, que j’avais rencontré en jouant au football. Il venait du Pondoland, dans le Transkei, et s’appelait Oliver Tambo. Dès le début, je me suis rendu compte qu’il était d’une intelligence exceptionnelle ; c’était un débatteur pénétrant et il n’acceptait pas les platitudes auxquelles tant de camarades souscrivaient automatiquement. Oliver habitait à Beda Hall, la résidence anglicane, et même si je n’ai pas eu beaucoup de contacts avec lui à Fort Hare, il n’était pas difficile de voir qu’il était destiné à faire de grandes choses.
Le dimanche, nous allions parfois en groupe à Alice, déjeuner dans l’un des restaurants de la ville. L’établissement était dirigé par des Blancs et, à cette époque, il était inconcevable qu’un Noir franchisse la porte d’entrée, et encore moins qu’il déjeune dans la salle de restaurant. Nous mettions nos ressources en commun, nous faisions le tour jusqu’à la cuisine et nous commandions ce que nous voulions.
Je n’étudiais pas que la physique à Fort Hare, mais une autre science physique très précise : la danse. Avec un vieux phono qui grattait, nous passions des heures à nous exercer au fox-trot et à la valse, en conduisant et en suivant chacun notre tour. Notre idole était Victor Sylvester, le champion du monde de danse, et notre professeur était un étudiant, Smallie Siundla, qui semblait être une version plus jeune du maître.
A Siwundla, un village des environs, il y avait une salle de danse africaine, le Ntselamanzi, qui réunissait la crème de la société noire locale et était inaccessible aux étudiants. Mais un soir, voulant à tout prix danser avec le beau sexe, nous avons mis nos costumes, nous sommes sortis clandestinement de nos dortoirs et nous sommes allés au bal. C’était un endroit somptueux et nous nous sentions très audacieux. J’ai remarqué une jolie femme de l’autre côté de la piste et suis allé l’inviter poliment à danser. Quelques instants plus tard, elle était dans mes bras. Nous dansions très bien ensemble et j’imaginais avoir une silhouette extraordinaire. Au bout de quelques minutes, je lui ai demandé son nom. « Mrs. Bokwe », répondit-elle doucement. J’ai failli la laisser là et décamper. J’ai regardé de l’autre côté de la piste et j’ai vu le Dr. Roseberry Bokwe, un des universitaires et des leaders africains les plus respectés de l’époque, qui bavardait avec son beau-frère, mon professeur Z.K. Matthews. Je me suis excusé auprès de Mrs. Bokwe et, l’air penaud, je l’ai raccompagnée sous
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