Un long chemin vers la liberte
victoire était le résultat combiné de nos protestations incessantes et d’une question très simple de logistique. D’une façon générale, les autorités préféraient avoir un gardien pour trois prisonniers. Même avant l’arrivée des prisonniers de la période qui a suivi Soweto, il n’y avait pas assez de gardiens, et les jeunes révoltés exigeaient une surveillance plus grande. Ils étaient si audacieux qu’il fallait un gardien derrière chacun d’eux. En restant dans notre section, nous avions moins besoin de surveillance.
La fin du travail manuel fut une libération. Je pouvais passer toute la journée à lire, à écrire des lettres, à discuter avec mes camarades ou à rédiger la défense d’un détenu. Ce temps libre me permettait aussi de me consacrer à mes deux passe-temps favoris : le jardinage et le tennis.
Survivre en prison implique qu’on doit trouver le moyen de tirer un plaisir de la vie quotidienne. On peut se sentir satisfait en lavant ses vêtements pour qu’ils soient particulièrement propres, en balayant un couloir pour qu’il n’y reste pas un grain de poussière, en organisant sa cellule afin d’avoir le plus d’espace possible. La fierté que procurent les tâches importantes à l’extérieur, on peut la trouver en prison dans de petites choses.
Dès mon arrivée à Robben Island, j’avais demandé qu’on m’accorde le droit d’avoir un jardin dans la cour. Pendant des années, on me l’avait refusé sans me donner de raisons. Mais les autorités se sont finalement laissé fléchir, et elles nous ont permis de délimiter un petit jardin sur une bande de terre étroite le long du mur le plus éloigné.
Dans la cour, la terre était sèche et pierreuse. On l’avait construite sur une ancienne décharge et, avant de commencer mon jardin, j’avais dû enlever un très grand nombre de pierres pour que les plantes puissent pousser. A l’époque, certains de mes camarades se moquaient de moi, en disant que j’avais une âme de mineur, parce que je passais mes journées à la carrière et mon temps libre dans la cour à retourner la terre.
Les autorités m’ont fourni des semences. J’ai commencé avec des tomates, du piment et des oignons – des plantes résistantes qui ne réclamaient pas une terre riche ni des soins constants. Les premières récoltes furent maigres, mais elles s’améliorèrent bientôt. Les autorités n’ont pas regretté de m’avoir accordé cette permission, parce que, quand le jardin a commencé à donner vraiment, j’ai souvent offert des tomates et des oignons aux gardiens.
J’avais toujours aimé le jardinage, mais ce n’est que derrière les barreaux que j’ai eu assez de temps pour m’occuper de mon propre jardin. J’avais eu ma première expérience à Fort Hare où, au cours du travail manuel obligatoire, j’avais travaillé dans le jardin d’un de mes professeurs, et le contact avec la terre m’avait plu comme antidote au travail intellectuel. A l’époque où j’étudiais et travaillais à Johannesburg, je n’avais ni le temps ni la place de cultiver un jardin.
J’ai commandé des livres de jardinage et d’horticulture. J’ai étudié différentes techniques et différentes sortes d’engrais. Je n’avais pas, loin de là, tout le matériel dont parlaient mes livres, mais je procédais par la méthode des essais et des erreurs. Pendant un certain temps, j’ai essayé de cultiver de l’arachide en utilisant différents types de sols et d’engrais, mais j’ai fini par y renoncer. Ce fut un de mes seuls échecs.
En prison, un jardin est une des rares choses qu’on puisse maîtriser. Semer une graine, la regarder pousser, la soigner et en récolter les fruits procure une satisfaction simple mais durable. Le sentiment d’être le gardien de cette petite étendue de terre donne un petit goût de liberté.
Sous certains aspects, je voyais mon jardin comme une métaphore de ma vie. Un dirigeant doit aussi cultiver son jardin : lui aussi sème des graines, les surveille, les soigne et en récolte le produit. Comme un jardinier, un dirigeant politique est responsable de ce qu’il cultive ; il doit faire attention à son travail, il doit essayer de repousser les mauvaises herbes, garder ce qui peut l’être et éliminer ce qui ne peut réussir.
J’écrivis deux lettres à Winnie sur un pied de tomate particulièrement beau. J’avais protégé une pousse fragile pour qu’elle
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