Un long chemin vers la liberte
sans aucun doute de battre le record de durée pour l’obtention de ce diplôme.
Mais cet arrêt eut un effet bénéfique inattendu : je commençai à lire des livres que, sans cela, je n’aurais jamais lus. Au lieu de passer mon temps dans des volumes sur le droit des contrats, je me plongeais maintenant dans les romans.
A Robben Island, je n ’ avais pas une bibliothèque illimitée pour y choisir mes livres. Nous avions accès à des quantités de romans policiers et de mystère, et aux œuvres complètes de Daphné du Maurier, mais guère plus. Les livres politiques étaient interdits. Tout livre sur le socialisme ou le communisme était rigoureusement exclu. Toute demande de livre qui contenait le mot rouge, même s ’ il s ’ agissait du Petit Chaperon rouge, était rejetée par les censeurs. La Guerre des mondes de H.G. Wells, un livre de science-fiction, était interdit pour la simple raison que son titre comportait le mot guerre.
Dès le début, j ’ ai essayé de lire des livres sur l ’ Afrique du Sud ou écrits par des écrivains sud-africains. J ’ ai lu tous les romans non interdits de Nadine Gordimer et ai ainsi beaucoup appris sur la sensibilité des Blancs libéraux. J ’ ai lu des quantités de romans américains et je me souviens en particulier des Raisins de la colère de John Steinbeck, dans lequel j ’ ai trouvé beaucoup de similitudes entre la condition des travailleurs migrants du roman et celle des travailleurs et ouvriers agricoles de chez nous.
J ’ ai relu plusieurs fois le chef-d ’ œuvre de Tolstoï, Guerre et Paix (le titre contenait le mot « guerre » mais le livre était quand même autorisé). Le portrait du général Koutouzov, que tout le monde sous-estimait à la cour du tsar, m ’ a particulièrement frappé. Koutouzov a vaincu Napoléon précisément parce qu ’ il n ’ était pas influencé par les valeurs superficielles de la cour et parce qu ’ il prenait ses décisions à partir d ’ une compréhension viscérale de ses hommes et de son peuple. Cela m ’ a rappelé une nouvelle fois que pour bien conduire son peuple, il faut le connaître parfaitement.
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A la suite du soulèvement étudiant de Soweto, j ’ ai appris que Winnie ainsi que mon vieil ami et médecin, le Dr. Ntatho Motlana, s ’ étaient engagés dans la Black Parents Association (Association des parents noirs), organisation qui réunissait des professionnels locaux et les responsables religieux et jouait un rôle de guide et d ’ intermédiaire pour les élèves. Les autorités semblaient se méfier autant de l ’ association des parents que des jeunes rebelles. En août 1976, moins de deux mois après la révolte des étudiants, Winnie fut arrêtée en vertu de l ’ Internal Security Act (Loi sur la sécurité intérieure) et emprisonnée sans inculpation, au Fort à Johannesburg, là où elle avait déjà passé cinq mois. Pendant cette période j ’ ai pu lui écrire, ainsi qu ’ à mes filles qui se trouvaient en pension au Swaziland, pour leur dire mon soutien et ma solidarité. Son emprisonnement me rendait triste, bien que cette fois elle ne fût pas maltraitée. Elle est sortie de prison en décembre, plus résolue encore à poursuivre son engagement dans la lutte.
Bien que sous le coup d’une interdiction, Winnie recommença à militer de plus belle et sa popularité auprès des jeunes radicaux de Soweto effrayait les autorités. Elles étaient déterminées à diminuer son influence et elles le firent d’une façon cynique et impudente : elles l’envoyèrent en exil intérieur. Pendant la nuit du 16 mai 1977, des voitures et un camion de la police s’arrêtèrent devant la maison à Orlando West, et les policiers commencèrent à charger les meubles et les vêtements. Cette fois, Winnie ne fut pas arrêtée, ni détenue ni interrogée ; elle était bannie dans un township éloigné de l’Etat libre d’Orange, appelé Brandfort. Je l’appris par Kathy à qui un brahmane avait donné le renseignement.
Brandfort se trouve à trois cent soixante-quinze kilomètres au sud-ouest de Johannesburg, juste au nord de Bloemfontein, dans l’Etat libre. Après un voyage long et pénible, Winnie, Zindzi et les policiers ont déchargé toutes leurs possessions devant une cabane de trois pièces au toit de tôle dans le township sinistre de Brandfort, un endroit misérable et arriéré où les gens étaient sous la poigne des fermiers blancs locaux. On
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