Un long chemin vers la liberte
regardait Winnie avec crainte. On parlait le sesotho, langue que Winnie ne connaissait pas.
Sa nouvelle situation m’attristait et me mettait en colère. Au moins, quand elle était à Soweto, je pouvais l’imaginer préparant les repas dans la cuisine ou lisant dans le salon, je la voyais se réveillant dans la maison que je connaissais si bien. Cela me réconfortait. A Soweto, même si elle se trouvait sous le coup d’une interdiction, il y avait des amis et de la famille tout près. A Brandfort, elle et Zindzi seraient seules.
J’avais traversé ce township autrefois en allant à Bloemfontein et je ne m’en souvenais plus. Il n’avait rien de mémorable dans sa pauvreté et sa désolation trop banales. Je ne savais pas alors à quel point l’adresse – maison numéro 802, Brandfort – me deviendrait familière. De nouveau, j’avais l’impression que Winnie et moi étions en prison ensemble.
Les lettres de Winnie m’apprenaient à quel point la vie à Brandfort était dure. La maison n’avait ni chauffage, ni toilettes, ni eau courante. Il n’y avait pas de boutiques dans le township et, en ville, les commerçants se montraient hostiles aux clients africains. La plupart des Blancs parlaient l’afrikaans et étaient profondément conservateurs.
Winnie et Zindzi étaient sous la surveillance constante de la police, qui les harcelait à tout bout de champ. En quelques mois, Zindzi – qui n’était pas sous le coup d’une interdiction – a été perturbée par les manœuvres d’intimidation de la police de sécurité. En septembre, avec l’aide des avocats de Winnie, j’ai déposé une demande d’interdiction contre la police de sécurité de Brandfort, pour qu’elle cesse de harceler ma fille. Des dépositions faites devant le juge décrivaient les policiers entrant dans la maison et menaçant Zindzi. Le juge décida qu’elle pouvait recevoir des visites en paix.
Winnie a du ressort et, en assez peu de temps, elle avait conquis les gens du township, y compris certains Blancs sympathiques du voisinage. Elle fournissait de la nourriture dans le township avec l’aide de l’Operation Hunger (Opération Faim), elle ouvrit une crèche pour les jeunes enfants et réunit des fonds pour créer une clinique là où peu de gens avaient vu un médecin.
En 1978, Zeni, la seconde de mes filles et l ’ aînée des enfants issus de mon second mariage, épousa le prince Thumbumuzi, un fils du roi Sobhuza du Swaziland. Ils s ’ étaient rencontrés pendant que Zeni allait à l ’ école là-bas. Me trouvant en prison, je n ’ ai pas pu remplir mes devoirs traditionnels de père. Dans notre culture, le père de la jeune mariée doit parler avec son futur mari et l ’ interroger sur ses projets. Il doit aussi déterminer la lobola, la dot que le fiancé paie à la famille de la jeune fille. Le jour du mariage lui-même, le père donne sa fille. Je n ’ avais aucun doute sur ce jeune homme, pourtant j ’ ai chargé mon ami et avocat George Bizos de me représenter. J ’ ai indiqué à George de demander au prince comment il avait l ’ intention de s ’ occuper de ma fille.
George rencontra le prince dans son bureau puis il demanda à venir me voir à Robben Island. Zeni n’ayant pas encore vingt et un ans, je devais lui donner mon consentement. J’ai vu George dans la salle de consultation et il a été étonné de découvrir qu’un gardien se trouvait avec nous. Je lui ai expliqué que c’était le règlement parce que cette visite était considérée comme familiale et non légale. J’ai rassuré George en plaisantant, lui affirmant que je n’avais aucun secret pour mes gardes.
George m’a dit à quel point les deux jeunes gens semblaient s’aimer et les brillantes perspectives de mon futur gendre. Son père, le roi Sobhuza, était un chef traditionnel éclairé et membre de l’ANC. George m’a fait part de certaines conditions proposées par la famille du jeune homme, en se donnant beaucoup de mal pour me faire remarquer que le garçon était un prince swazi. Je lui ai demandé de dire au jeune homme qu’il épousait une princesse thembu.
Pour Zeni, devenir membre de la famille royale swazi représentait un immense avantage : elle bénéficia immédiatement des privilèges diplomatiques et put venir me voir pratiquement quand elle le voulait. Elle épousa Thumbumuzi pendant l’hiver, puis ils vinrent me voir, avec leur petite fille nouveau-née. Grâce
Weitere Kostenlose Bücher