Un long chemin vers la liberte
nos doléances. A l’unanimité, les étudiants pensaient que la nourriture n’était pas satisfaisante et que les pouvoirs du CRE devaient être renforcés afin que, pour l’administration, ce soit autre chose qu’une signature pour accord. J’approuvais ces deux points et quand une majorité d’étudiants vota le boycott des élections si la direction n’acceptait pas nos revendications, je votai avec eux.
Peu de temps après cette réunion, les élections prévues eurent lieu. La majorité des étudiants les boycottèrent, mais vingt-cinq d’entre eux, environ le sixième du total, ne suivirent pas la consigne et élurent six représentants, dont moi. Les six élus se réunirent pour discuter des événements. Nous décidâmes à l’unanimité de présenter notre démission collective sous le prétexte que nous soutenions le boycott et que nous refusions de soutenir les votants. Puis nous rédigeâmes une lettre que nous remîmes au principal, le Dr. Kerr.
Mais le Dr. Kerr était habile. Il accepta notre démission et annonça que de nouvelles élections auraient lieu le lendemain au réfectoire à l’heure du dîner. Il était sûr ainsi que tous les étudiants seraient présents et qu’on ne pourrait plus avancer l’excuse que le CRE n’avait pas le soutien de l’ensemble des étudiants. Les élections eurent bien lieu comme le principal l’avait ordonné mais seuls les mêmes vingt-cinq étudiants votèrent, et réélurent les mêmes six membres du CRE. Nous en étions revenus au point de départ.
Mais cette fois, quand les six élus se réunirent pour décider d’une position, le vote fut très différent. Mes cinq collègues s’accrochèrent à l’aspect technique : ils avaient été élus lors d’une réunion à laquelle assistaient tous les étudiants et par conséquent nous ne pouvions plus soutenir que nous ne représentions pas l’ensemble de nos camarades. Les cinq croyaient que maintenant nous pouvions accepter la charge. Je répliquai qu’en fait rien n’avait changé ; si tous les étudiants étaient bien présents, une majorité n’avait pas voté et il serait moralement incorrect de dire que nous avions leur confiance. Puisque notre but initial de boycotter les élections avait eu leur confiance, notre devoir était de nous en tenir à cette résolution et de ne pas nous laisser détourner par quelque tour de passe-passe du principal. Incapable de persuader mes collègues, je démissionnai pour la seconde fois, seul des six à le faire.
Le lendemain, on me convoqua chez le principal. Le Dr. Kerr, diplômé de l’université d’Edimbourg, était virtuellement le fondateur de Fort Hare, et il était entouré d’un immense respect. Il évoqua calmement les événements des derniers jours puis me demanda de reconsidérer ma démission. Je lui dis que je ne pouvais pas. Il me répondit que, la nuit portant conseil, il valait mieux que je lui donne ma décision le lendemain. Mais il m’avertit cependant qu’il ne pouvait permettre que ses étudiants se conduisent de façon irresponsable, et il ajouta que si je persistais il serait obligé de me renvoyer de Fort Hare.
Ce qu’il m’avait dit m’avait troublé et je passai une mauvaise nuit. Je n’avais jamais eu à prendre de décision aussi lourde de conséquences. Ce soir-là, je consultai mes amis et mon guide, K.D… qui considérait que sur le plan des principes j’avais raison de démissionner et que je ne devais pas capituler. Je dois dire qu’à l’époque, je craignais encore plus K.D, que le Dr. Kerr. Je le remerciai et retournai dans ma chambre.
Je pensais que ce que je faisais était moralement juste ; cependant, je n’étais pas sûr que ce fût la bonne solution.
Etais-je en train de saboter ma carrière universitaire à cause d’un principe moral abstrait qui comptait si peu ? Il m’était difficile d’accepter l’idée de sacrifier ce que je croyais être une obligation envers les étudiants pour mes intérêts personnels. J’avais pris une position et je ne voulais pas apparaître comme un traître à leurs yeux. Dans le même temps, je ne voulais pas ruiner mes études à Fort Hare.
Le lendemain matin, quand j’arrivai au bureau du Dr. Kerr, j’étais toujours très indécis. Ce n’est qu’au moment où il me demanda ce que j’avais décidé que je me résolus. Je lui dis qu’en toute conscience je ne pouvais pas participer au CRE. Le Dr. Kerr parut pris de court. Il
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