Un long chemin vers la liberte
au statut du prince, nous avons eu le droit de nous rencontrer dans la salle de consultation, au lieu du parloir normal des visites dans lequel on était séparé de sa famille par des murs épais et des vitres. Je les ai attendus avec un peu d’inquiétude.
Quand ils sont entrés dans la pièce, ce fut un instant prodigieux. Je me suis levé et, quand Zeni m’a vu, elle a pratiquement lancé sa petite fille à son mari pour venir se jeter dans mes bras. Je n’avais pas serré ma fille dans mes bras depuis qu’elle avait l’âge de sa propre fille. C’était quelque chose d’étourdissant que de serrer contre soi son enfant devenu adulte. On aurait cru que le temps avait filé, comme dans un roman de science-fiction. Puis j’ai pris mon nouveau fils dans mes bras et il m’a tendu ma petite-fille, que j’ai gardée pendant toute la visite. Tenir un nouveau-né, si vulnérable et si tendre, dans mes mains calleuses, des mains qui pendant trop longtemps n’avaient tenu que des pelles et des pioches, me remplissait d’une joie profonde. Je ne pense pas qu’un homme ait jamais été plus heureux de tenir un nouveau-né dans ses bras.
La visite avait aussi un but plus officiel, et je devais choisir un nom à l’enfant. D’après la coutume, cette tâche revient au grand-père et j’ai choisi Zaziwe – qui veut dire « Espoir ». Pour moi, ce nom avait une signification particulière car, pendant toutes mes années de prison, l’espoir ne m’avait jamais quitté – et maintenant il ne me quitterait plus. J’avais la conviction que cet enfant appartiendrait à la nouvelle génération de Sud-Africains pour qui l’apartheid ne serait qu’un lointain souvenir – tel était mon rêve.
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Je ne sais pas si c ’ est le bouleversement à l ’ intérieur de la prison qui a suivi le soulèvement de Soweto, ou le bouleversement dans la vie de ma famille à l ’ extérieur de la prison, mais pendant un an ou deux, après 1976, je suis resté dans un état d ’ esprit rêveur et nostalgique. En prison, on a le temps de revoir le passé, et la mémoire devient tout à la fois un ami et un ennemi. Ma mémoire me ramenait à des moments de grande joie et de tristesse. Dans mes rêves, la vie devenait très riche et j ’ avais l ’ impression de passer des nuits entières à revivre les moments heureux ou malheureux du passé.
Je faisais souvent le même cauchemar. Je venais d’être libéré de prison – ce n’était pas Robben Island mais une prison à Johannesburg. Je passais les portes et personne ne m’attendait. En fait, il n’y avait absolument personne, pas de voitures, pas de taxis. Alors je partais à pied vers Soweto. Je marchais pendant des heures avant d’arriver à Orlando West et je tournais dans la rue vers le 8115. Je voyais enfin ma maison, mais elle était vide, une maison hantée, toutes portes et fenêtres ouvertes, mais sans personne à l’intérieur.
Tous mes rêves de libération n’étaient pas si sombres. En 1976, j’écrivis à Winnie pour lui raconter une vision heureuse.
Dans la nuit du 24 février, j’ai rêvé que j’arrivais au 8115 et que je trouvais la maison pleine de jeunes qui dansaient un mélange de jazz et d’infiba. Je les ai surpris en entrant sans prévenir. Certains m’ont salué tandis que d’autres ont disparu timidement. La chambre était pleine de parents et d’amis. Tu te reposais dans le lit avec Kgatho [mon fils Makgatho], tu avais l’air jeune et tu dormais du côté du mur.
Peut-être que dans ce rêve je me suis souvenu des deux semaines de décembre 1956, quand il avait six ans et que j’ai laissé Makhulu [la mère d’Evelyn] seule à la maison. Il vivait alors avec sa mère à O.E. [Orlando East] et, quelques jours seulement avant mon retour, il est allé rejoindre Makhulu et a dormi dans mon lit. Je lui manquais beaucoup, et coucher dans mon lit devait un peu soulager son envie.
Si j’étais heureux de m’attarder sur les bons moments, je regrettais souvent la peine que j’avais causée à ma famille à cause de mon absence. Voici une autre lettre de 1976.
En me réveillant, le matin du 25 février, vous me manquiez beaucoup, toi et les enfants, comme toujours. Ces derniers temps, j ’ ai beaucoup pensé à toi comme dadewethu [sœur], mère, camarade et mentor. Ce que tu ignores peut-être, c ’ est que je pense souvent à toi et que je vois vraiment dans mon esprit tout ce que tu es physiquement
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