Un long chemin vers la liberte
la section. Je le lui ai prêté volontiers, puis un autre me l’a demandé, et encore un autre. Bientôt, tout le monde a su que je possédais un album de photos, à tel point que je recevais des demandes des sections F et G.
Ces derniers recevaient rarement des visites et des lettres et il aurait été mesquin de leur refuser cette fenêtre ouverte sur le monde. Mais bientôt, j’ai découvert que mon précieux album était en lambeaux et que nombre de mes irremplaçables photos avaient disparu. Ces hommes éprouvaient le besoin désespéré de posséder quelque chose de personnel dans leur cellule et ils ne pouvaient s’empêcher de prendre des photos. A chaque fois que cela arrivait, je reconstituais mon album.
Parfois, certains me demandaient une photo plutôt que l’album tout entier. Je me souviens d’un jeune de la Conscience noire, en section générale, qui nous apportait à manger. Il m’a pris à part et m’a dit : « Madiba, j’aimerais une photo. » Je lui ai dit d’accord, je lui en enverrais une. « Quand ? » m’a-t-il demandé un peu brusquement. Je lui ai répondu que j’essaierais de le faire pendant le week-end. Il a eu l’air satisfait et s’est éloigné, puis soudain il s’est retourné : « Ecoute, ne m’envoie pas une photo de la vieille dame. Envoie-moi plutôt une photo d’une des jeunes filles, Zindzi ou Zeni – rappelle-toi, pas la vieille dame ! »
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En 1978, après quinze années de lutte pour obtenir le droit de recevoir des journaux, les autorités nous ont proposé un compromis. Au lieu de nous permettre de lire la presse ou d ’ écouter la radio, elles ont mis sur pied leur propre service d ’ informations radio, qui se composait d ’ un résumé quotidien et banal des nouvelles, lu sur le système de communication intérieure de la prison.
Les émissions n’étaient ni objectives ni complètes. Plusieurs censeurs de l’île faisaient un résumé succinct d’informations diffusées par d’autres radios. Les nouvelles étaient bonnes pour le gouvernement et mauvaises pour ses adversaires.
Le premier bulletin d’information s’ouvrit sur la mort de Robert Sobukwe. Ensuite, on parlait des victoires remportées par les troupes de Ian Smith en Rhodésie et de la détention d’adversaires du gouvernement en Afrique du Sud. Malgré l’aspect tendancieux de ces nouvelles, nous étions heureux de les avoir et nous vantions de lire entre les lignes et de faire des suppositions solides fondées sur les omissions.
C’est par la radio intérieure que nous avons appris cette année-là que P.W. Botha avait succédé à John Vorster au poste de Premier ministre. Ce que les gardiens ne nous dirent pas, c’est que Vorster avait démissionné à la suite des révélations de la presse sur le détournement de fonds gouvernementaux par le ministère de l’Information. Je ne connaissais pas grand-chose sur Botha sinon qu’il avait commencé comme un ministre de la Défense agressif et qu’il avait soutenu une offensive militaire en Angola en 1975. Nous ne pensions pas qu’il pourrait réformer quoi que ce soit.
J’avais lu récemment une biographie autorisée de Vorster (un des livres que possédait la bibliothèque de la prison) et découvert que c’était un homme prêt à payer pour ses convictions ; il était allé en prison pour son soutien à l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n’étions pas tristes de le voir s’en aller. Il avait élevé la répression de la liberté à des hauteurs encore jamais vues.
Mais malgré nos nouvelles radiophoniques expurgées, nous avions appris ce que les autorités voulaient qu’on ignore. Nous connaissions les succès des guerres de libération au Mozambique et en Angola en 1975 et la naissance de ces pays comme Etats indépendants avec des gouvernements révolutionnaires. La marée tournait dans notre sens.
Dans l’ouverture générale de la vie sur l’île, nous avions maintenant notre cinéma. Presque chaque semaine nous regardions un film projeté sur un drap, dans une grande pièce, à côté de notre couloir. Plus tard, nous avons eu un véritable écran. Les films offraient une extraordinaire diversion, la possibilité de s’évader de la tristesse de la prison.
Nous avons d ’ abord vu des films d ’ action ou des westerns d ’ Hollywood, muets, en noir et blanc, qui dataient d ’ avant ma jeunesse. Je me souviens qu ’ un des premiers s ’
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