Un long chemin vers la liberte
déférence ; les compagnies minières leur fournissaient un logement à chaque fois qu ’ ils venaient en visite. Une lettre du régent suffisait pour assurer un bon emploi à quelqu ’ un et on nous traita avec un soin particulier à cause de nos liens de parenté. On nous donna des rations gratuites, un endroit pour dormir et un petit salaire. Pour la première nuit nous ne dormîmes pas dans les baraquements. Pendant quelques jours, par égard pour le régent, Piliso nous invita chez lui.
De nombreux mineurs, en particulier ceux du Thembuland, considéraient Justice comme un chef et ils l ’ accueillirent en lui offrant de l ’ argent comme le voulait la coutume quand un chef visitait une mine. La plupart de ces hommes habitaient dans le même « hostel {4} » car normalement les mineurs étaient logés en fonction de leur tribu. Les compagnies minières préféraient une telle ségrégation, car elle empêchait les différents groupes ethniques de s ’ unir sur une même revendication et renforçait le pouvoir des chefs. Cette séparation entraînait aussi des combats entre groupes et clans ethniques que les compagnies ne décourageaient pas.
Justice partagea une partie de son argent avec moi et me donna quelques livres en plus. Pendant ces premiers jours, ma nouvelle richesse sonnait dans mes poches, et j ’ avais l ’ impression d ’ être millionnaire. Je commençais à trouver que j ’ étais né coiffé, que la chance me souriait et que si je n ’ avais pas perdu un temps précieux à faire des études j ’ aurais déjà été riche. Une nouvelle fois, je ne voyais pas que le destin s ’ amusait à me tendre des pièges.
Je commençai à travailler tout de suite comme veilleur de nuit. On me donna un uniforme, une paire de bottes neuves, un casque, une lampe de poche, un sifflet et un knobkerrie, c ’ est-à-dire un long bâton avec une grosse extrémité. Le travail était simple : j ’ attendais à l ’ entrée, à côté d ’ un panneau où l ’ on pouvait lire : « Attention : Entrée réservée aux indigènes », et je vérifiais les papiers de ceux qui entraient et qui sortaient. Pendant les premières nuits, j ’ ai patrouillé sur le carreau de la mine sans incident. Un soir, j ’ ai interpellé un mineur saoul mais il m ’ a montré son pass sans discuter et il s ’ est retiré dans son foyer.
Exaltés par notre succès, Justice et moi nous sommes vantés de notre astuce à un ami que nous avions connu chez nous et qui travaillait aussi dans les mines. Nous lui avons expliqué que nous nous étions enfuis et que nous avions trompé le régent. Nous lui avons demandé qu ’ il nous jure le secret mais il est allé trouver directement l ’ induna et lui a tout raconté. Le lendemain, Piliso nous a convoqués et il a immédiatement demandé à Justice : où est l ’ autorisation du régent pour ton frère ? Justice lui a répondu qu ’ il lui avait déjà expliqué que le régent l ’ avait postée. Piliso ne se laissa pas attendrir et nous nous sommes aperçus que quelque chose n ’ allait pas. Il chercha dans son bureau et en sortit un télégramme. « J ’ ai reçu des nouvelles du régent », dit-il d ’ une voix grave, en le tendant vers nous. Il ne contenait qu ’ une phrase : « Renvoyez immédiatement les garçons. »
Puis Piliso laissa éclater sa colère contre nous, en nous accusant de lui avoir menti. Il nous dit que nous avions abusé de son hospitalité et du nom du régent. Il nous expliqua qu ’ il avait organisé une collecte parmi les mineurs afin de nous mettre dans un train pour le Transkei. Justice refusa de rentrer, en disant qu ’ il souhaitait travailler à la mine et que nous étions assez grands pour prendre nos décisions. Mais Piliso ne voulut rien entendre. Nous avons quitté son bureau honteux et humiliés mais bien décidés à ne pas retourner au Transkei.
Nous avons mis au point un autre plan. Nous sommes allés voir le Dr. A.B. Xuma, un vieil ami du régent qui était le président de l ’ ANC. Le Dr. Xuma était né à Engcobo, dans le Transkei et c ’ était un médecin très apprécié.
Très heureux de nous voir, il nous interrogea poliment sur la famille à Mqhekezweni. Nous lui racontâmes une suite de demi-vérités afin d ’ expliquer pourquoi nous nous trouvions à Johannesburg et pourquoi nous désirions trouver du travail dans les mines. Le Dr. Xuma nous dit qu ’ il était
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