Un long chemin vers la liberte
œuvre africaine et avait connu une rapide extension. C ’ était pratique et proche de la ville. Les ouvriers habitaient dans des cabanes construites dans les jardins, devant et derrière les vieilles maisons. Quarante personnes pouvaient partager le même robinet. Plusieurs familles pouvaient s ’ entasser dans la même cabane. Malgré la pauvreté, Sophiatown avait un caractère spécial ; pour les Africains, c ’ était la Rive gauche de Paris, ou Greenwich Village, c ’ est là qu ’ habitaient les écrivains, les artistes, les médecins et les avocats. Il y avait une atmosphère à la fois conventionnelle et de bohème, animée et calme. C ’ était là que le Dr. Xuma habitait et avait son cabinet et qu ’ exerçaient différents tsotsis (gangsters), les « Berlinois » et les « Américains » qui avaient pris des noms d ’ acteurs d ’ Hollywood comme John Wayne ou Humphrey Bogart. Sophiatown se vantait de posséder la seule piscine pour enfants africains de Johannesburg.
A Johannesburg, le projet de déplacement des zones ouest prévoyait l ’ évacuation de Sophiatown, de Martindale et de Newclare, dont la population totale se situait entre 60 000 et 100 000 personnes. En 1953, le gouvernement nationaliste avait acheté une étendue de terre appelée Meadowlands, à une quinzaine de kilomètres de la ville. Les gens y seraient réinstallés en sept « groupes ethniques » différents. Le gouvernement avançait comme excuse la suppression des bidonvilles, un écran de fumée pour dissimuler la politique gouvernementale qui considérait que toute zone urbaine était blanche et que les Africains n ’ étaient que des résidents temporaires.
Le gouvernement subissait la pression de ses partisans des environs, de Westdene et Newlands, qui étaient des zones blanches relativement pauvres. Ces Blancs de la classe ouvrière lorgnaient sur les belles maisons que possédaient certains Noirs à Sophiatown. Le gouvernement voulait contrôler les déplacements de tous les Africains et cela se révélait beaucoup plus difficile dans les townships urbains où les Noirs étaient propriétaires et où les gens allaient et venaient à leur guise. Bien que le système fût toujours en vigueur, on n ’ avait besoin d ’ aucune autorisation particulière pour entrer dans un township de propriétaires, contrairement aux locations municipales. Les Africains habitaient et étaient propriétaires à Sophiatown depuis plus de cinquante ans ; et maintenant le gouvernement envisageait impitoyablement de reloger tous les Africains de Sophiatown dans un autre township noir. Le plan du gouvernement manifestait un tel cynisme que le déplacement était prévu avant même que les maisons qui devaient accueillir les gens aient été construites. Le déplacement de Sophiatown fut la première grande épreuve de force pour l ’ ANC et ses alliés après la Campagne de défi.
Le projet de déplacement de Sophiatown avait débuté en 1950, mais les efforts de l ’ ANC pour s ’ y opposer n ’ ont pas commencé vraiment avant 1953. Vers le milieu de l ’ année, les branches locales de l ’ ANC, le Transvaal Indian Congress et l ’ Association des contribuables ont mobilisé les gens pour résister. En juin 1953, la direction provinciale de l ’ ANC et le TIC ont organisé une réunion publique au cinéma Odin de Sophiatown pour discuter de la mobilisation. La réunion a été animée et exubérante et a rassemblé plus de 1 200 personnes qui ne semblaient pas intimidées par la présence de plusieurs douzaines de policiers armés jusqu ’ aux dents.
Mon ordre d ’ interdiction et celui de Walter avaient expiré quelques jours seulement avant la réunion. Cela signifiait que rien ne nous empêchait plus d ’ assister ou de parler dans des rassemblements, et nous avons rapidement pris les dispositions nécessaires pour que je prenne la parole dans le cinéma.
Juste avant de commencer, un officier de la police nous vit, Walter et moi, devant la salle, en train de parler au père Huddleston, un des responsables de l ’ opposition au déplacement. Il nous informa que nous étions sous le coup d ’ une interdiction et que par conséquent nous n ’ avions pas le droit de nous trouver là, et donna l ’ ordre à ses subordonnés de nous arrêter. Le père Huddleston hurla à l ’ adresse des policiers qui se dirigeaient vers nous : « Non, c ’ est moi que vous allez arrêter à la
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