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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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si pimpant d'habitude,
si naïvement égayé par Maman, en est tout
assombri.
    D'abord,
Mathilde doit promettre que les informations qu'elle va entendre ne
seront jamais divulguées à qui que ce soit. Pour les
obtenir, Pierre-Marie a dû faire appel à l'amitié
d'un officier d'état-major, qui s'est beaucoup exposé,
à qui il a lui-même donné sa parole de garder le
secret absolu. Menteuse comme elle se connaît, Mathilde promet
sans hésitation.
    Il
s'assoit. Il sort des feuillets pliés de la poche intérieure
de son veston. Il a rencontré plusieurs fois, au cours des
cinq semaines qui viennent de s'écouler, cet officier dont il
veut préserver l'anonymat, qu'il appelle mon ami Officier,
pareillement que si c'était son nom véritable. Ils ont
déjeuné ensemble aujourd'hui, ils ont fait le point.
Encore que certains des dires d'Esperanza soient confirmés par
les documents ou les témoignages qu'ils ont recueillis, ils
restent tous les deux convaincus que son histoire est mensongère,
que les choses, à Bingo Crépuscule, n'ont pu être
telles que ce vieux gaga les a décrites à Mathilde. On
avait sûrement mieux à faire dans cette tranchée,
les 6 et 7 janvier 1917, que de balancer des condamnés à
mort par-dessus le parapet pour économiser des cartouches.
    Le
petit salon s'éclaire. Mathilde voit le jour à travers
les vitres mouillées. Elle voit les flammes dans la cheminée
de marbre rose, et même le brusque reflet du feu sur la
chevalière en or de l'avocat, quand il déplie ses
feuillets. Bingo Crépuscule a donc réellement existé ?
    Il
la regarde, il baisse la tête, il dit oui, que de cela, comme
d'autres détails qu'Esperanza lui a donnés, il n ' y
a aucun doute. Il enfourche sur son nez des bésicles, il lit
les notes qu'il a prises.
    "Bingo
Crépuscule", est l'appellation d'une tranchée
allemande occupée par les nôtres en octobre 1916
numérotée 108 dans un secteur du front de la Somme, aux
environs de Bouchavesnes. Elle se trouve, en janvier 1917, à
la jonction des troupes françaises et britanniques. Elle est
lethéâtre de
furieux combats dans la journée et la nuit du dimanche 7. Le 8
et les jours suivants, selon des accords pris à l'automne
précédent par les commandements des deux armées,
ce qui exclut tout rapport avec le déroulement de l'affaire,
les Britanniques relèvent nos troupes dans ce secteur.
    Il
est exact que le capitaine Étienne Favourier, trente-cinq ans,
professeur d'Histoire, commandait le demi-bataillon engagé
dans les tranchées 108 et 208, première et deuxième
position, le dimanche 7 janvier 1917.
    Il
est exact que le lieutenant Jean-Jacques Estrangin, vingt-cinq ans,
était à la tête de la compagnie de Bingo
Crépuscule et que celle-ci comprenait les caporaux Urbain
Chardolot et Benjamin Gordes, ainsi que le soldat Célestin
Poux.
    L'ami
Officier a eu en main l'état des pertes du 7 janvier. Parmi 56
tués figurent les noms de Favourier et d'Estrangin, parmi 74
blessés celui de Benjamin Gordes.
    Ici,
l'avocat s'arrête, regarde Mathilde en ôtant ses
bésicles, longuement, pensivement, puis il dit : “Il
y a autre chose, ma pauvre Matti. ”
    Sur
cet état des pertes, dressé le lundi 8 par un sergent
de la compagnie décimée, de ceux qui restaient le plus
haut en grade, figurent aussi, parmi les tués, sous la mention
“ Détachés au bataillon le 6 janvier les noms de
Kléber Bouquet, Francis Gaignard, Benoît Notre-Dame,
Ange Bassignano et - “Que veux-tu, les choses sont ainsi ” - Jean Etchevery.
    Mathilde
fait rouler son fauteuil vers le feu. Un démon passe. Sans se
retourner, elle se force à dire :
    “
Continuez. J'écoute. ” Il est exact que le
lieutenant-médecin Jean-Baptiste Santini, vingt-sept ans, a
trouvé la mort dans un bombardement, à Combles, le 8
janvier 1917. Son Supérieur direct, a l'ambulance, ne se
rappelle pas qu'il lui ait commandé deux jours avant, d'aller
soigner des condamnés à mort. À l'ami Officier
qui l'a interrogé, ce médecin de quelque renom a dit nettement ;
    “Allons
donc, si cela s'était passé, je ne l'aurais pas
oublié." Il a été encore plus catégorique
en ce qui concerne l'infirmier inconnu, censé accompagner le
lieutenant Santini : “ Ah, parce qu'il y avait aussi un
infirmier  ? Deux hommes, dont un
médecin, pour cinq pansements, vous voulez rire  ? Jamais je n'aurais donné un tel ordre, allons donc  ! ”
    Il
est exact aussi qu'un régiment de dragons se trouvait

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