Un long dimanche de fiancailles
cantonné
en janvier 1917 dans le même secteur que le hameau rasé,
Tancourt, où les condamnés auraient été
conduits et remis à la garde d'Esperanza. Mais l'ami Officier
a eu accès aux dossiers de ce régiment. Il peut
affirmer qu'aucune mission d'accompagnement de ce genre n'a été
rapportée à la date du samedi 6 janvier. Sauf à
croire qu'Esperanza ait confondu une autre arme avec des dragons, ce
qui est plus qu'improbable pour un briscard de trois ans de guerre,
il faut bien tenir ses allégations, là encore, pour
pure fantaisie.
Pierre-Marie
a parlé au téléphone avec le médecin-Chef
de l ' hôpital de Dax,
mais n'a pu obtenir qu'Esperanza vienne à l'appareil. Le vieux
ne quitte plus son lit, ne parle presque plus, ne se souvient de
rien, sinon d'une maîtresse d'école qu'il a eue quand il
était gamin et qu'il réclame en pleurant toutes les
nuits.
. L e c o m m a n d a n t d u bataillon d'Esperanza en janvier 17,est mort la même
année, non pas à la guerre mais en permission, d'une
attaque cardiaque à la fin d'un repas en famille. Sa veuve ne
l'a jamais entendu parler de Bingo Crépuscule, ni des cinq
condamnés à mort, ni vraisemblablement de rien :
elle détestait l'entendre raconter sa guerre.
Voilà.
Ce serait tout s'il ne restait le plus important, que Pierre-Marie a
appris au déjeuner, ce midi même, qui lui semble lever
tous les doutes et clore l'affaire.
Le
procès a bien eu lieu. Exactement à l'école
communale de Dandrechain, près de Suzanne, dans la Somme.
Vingt-six soldats et deux caporaux d'un corps d'armée, qui
s'étaient mutilés de la même façon dans
une période si restreinte que c'en était alarmant pour
la discipline, ont été jugés par le conseil de
guerre, les 28 et 29 décembre 1916. Quatorze soldats et un
caporal, en l'occurrence Francis Gaignard, ont été
condamnés à la peine de mort, les autres ont écopé
de vingt à trente ans de travaux forcés.
Pierre-Marie,
repliant ses feuillets, se dresse brusquement et vient devant le feu,
face à Mathilde. Elle dit : “Je ne vois pas en quoi
cela clôt l'affaire. C'est plutôt là qu'elle
commence. ”
“
Attendez, Matti. Je n'ai pas fini. Comment croyez-vous que nous ayons
obtenu ces précisions ? ”
Elle
présume qu'il doit rester, dans les archives de l'armée,
les comptes rendus des conseils de guerre quelque trace écrite.
Non,
son ami Officier n'a pu trouver - ou pas encore - les minutes du procès de Dandrechain ni aucune trace.
Mais il a trouvé mieux : “ le capitaine
d'artillerie, fort dans le juridique ” dont a parlé
Aristide Pommier après des joutes humides - le propre
défenseur de Manech.
Sur
le coup, Mathilde ne peut dire un mot son cœur est dans sa
gorge, elle regarde Pierre-Marie avec des yeux agrandis, les lèvres
ouvertes, elle doit avoir l'air d'un poisson. Il hoche la tête,plusieurs fois, content de son effet, disant : “Eh oui, eh oui, Matti. Mon ami Officier l'a retrouvé. ”
Celui
qui a plaidé pour Manech est un avoué de Levallois, qui
n'exerce plus, qui vit de quelques rentes et de sa pension d'invalide
dans un pavillon en meulière, entre ses livres et ses chats.
Il a perdu un fils aux Eparges, une jambe en Champagne, sa femme dans
la grande épidémie. L'ami Officier l'a rencontré
hier après-midi, dans son pavillon. Il s'est fait raconter le
procès. Il est reparti avec une révélation de
taille, dont il a réservé à Pierre-Marie la
surprise pour le déjeuner : les
15 condamnés à mort , tous,
ont été graciés par le président Poincaré
le 2 janvier 1917, soit quatre jours avant l'affaire de Bingo
Crépuscule, et leurs peines commuées en travaux forcés.
Le défenseur de Manech a reçu notification de la grâce
le 4, dans son cantonnement, mais les autorités concernées
ont sans doute été prévenues avant lui, par
télégramme. Que valent les divagations d'Esperanza, maintenant ?
Quand
Mathilde a mis un peu d'ordre dans son esprit, elle dit : “je
ne voudrais pas vous paraître insultante envers votre ami
Officier, mais a-t-il une preuve que cette notification a bien
existé ? "
Penché
vers elle, la voix soudain si forte si vibrante, qu'elle recule la
tête, Pierre-Marie répond : "Je l'ai vue !"
L'ancien
avoué a confié le document à Officier.
Pierre-Marie l'a lu et relu pas plus tard que ce midi. Il a lu le nom
de Jean Etchevery et des quatorze autres condamnés. Il a lu
les attendus. Il a lu la commutation de peine et la date et
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