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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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On serait bien mieux dans les Landes." En
août, à sa première visite, elle a demandé
à Pierre-Marie s'il serait possible de faire transférer
le cercueil au cimetière de Soorts ou de Cap-Breton. Il a répondu : “Les démarches
peuvent être longues, je n'en sais rien, mais il me semble
qu'on devrait y arriver. Je me renseignerai. ” Il n'avait pas
fini sa phrase qu'un sentiment d'angoisse effroyable a envahi
Mathilde, elle en avait la gorge serrée à ne pouvoir
articuler un mot. Exactement comme si Manech, du fond d'elle-même,
criait non, non, qu'il ne voulait pas. Et quand elle a été
capable d'articuler un mot, elle a dit précipitamment à
Pierre-Marie, d'une voix entrecoupée : “Non, ne faites rien. Il faut que je réfléchisse.
” Et aussitôt, doucement, l'angoisse a disparu. Elle
renaît, maintenant, rien qu'à l'idée de demander
à Manech s'il n'a pas changé d'avis. Elle lui dit : “D'accord, je ne veux pas t'embêter avec ça. Après
tout, de venir ici, ça me change, ça me fait voir du
pays. ”
    Ensuite,
Sylvain revient, le pas lourd, la casquette de travers, les mains
couvertes de boue. Il les tient en l'air pour que la pluie les lave.
Il a l'air d'un prisonnier de guerre résigné aux
fantaisies d'une Mathilde casse-machins. En s'approchant, il lance : “Je n'ai rien vu qui dise qu'elle est revenue." Et debout
devant elle : “ Mais je le pense quand même , je ne sais pas pourquoi. J 'ai creusé
autour de la croix, des fois que cette femme te ressemble. Il n'y a
rien. Maintenant, j'ai soulevé la coupe de fleurs. Elle est en
marbre, elle pèse dix tonnes, on comprend pourquoi personne ne
l'a volée. Il n'y a rien dessous qui l'indique d'où
elle vient, mais il m'est venu une idée. Je l'ai reposée
plus loin, sur une autre tombe. On verra peut-être la prochaine
fois  ? ”

    Germain
Pire
    (Le
reste de l'en-tête est rayé.)
    Lundi,
l6 juin 1921.
    Très
chère enfant,
    Jamais
je ne me suis senti aussi humilié. Il faut néanmoins
que je vous avoue l'échec complet de mes recherches et que je
renonce désormais aux hortensias qui devaient embellir ma
chambre. Voyez-vous, Valentina Lombardi est aussi insaisissable que
si elle n'avait jamais existé. J' ai
entendu parler d'elle à Toulon, à La Ciotat ou à
Marseille, mais toujours du bout des lèvres, par des bourgeois
qui ont pignon sur rue. L'essentiel, seul l'univers qu'elle
fréquentait pouvait me le dire et cet univers ne parle pas.
Puisque vous me l'avez expressément demandé, je ne suis
pas allé importuner madame Conte, ni ses amies madame Isola et
madame Sciolla. De toute manière, je n'aurais rien appris
d'elles qui puisse me servir.
    J'ai
souvent, dans mes enquêtes, l'impression très forte de
connaître presque fraternellement ceux que je recherche ou que
j'épie. Il n'en est rien pour Valentina Lombardi. Mon
sentiment est qu'elle est un être noir, marquée par la
malédiction des enfances meurtries, subjuguée par le
seul amour qui lui ait fait croire qu'elle valait les autres, et que,
cet amour massacré, elle est devenue infiniment cruelle et
dangereuse pour qui se rattache au massacre. Je vous le dis
d'instinct, il serait plus sage, chère enfant , de l'oublier , de ne rien tenter
désormais qui puisse exciter la bête.
    Ses
traces s'arrêtent dans un village du Morbihan Sarzeau, en
février de cette année. Je me suis rendu sur place.
Elle n'a fait qu'y passer. .On se souvient de sa violence mal
contenue, de son air sombre. Si je l'ai perdue là, c'est
peut-être après tout qu'elle est morte, et je n'irai pas
m'en attrister.
    En
ce qui concerne Célestin Poux, dont mon frère Ernest
s'est occupé, nous devons renoncer également encore
qu'il soit tout le contraire. Dans l’île d'Oléron
chacun nous l'a décrit comme un garçon heureux de
vivre, débrouillard, serviable, mais terriblement fantasque.
Il est reparu au pays pendant trois mois en automne 19. Jusque-là,
il était resté, avec le grade de caporal, en occupation
de l'autre côté du Rhin. On lui a donné le poste
d'éclusier au lieu dit Le Douliet, sur la commune de Saint-
Georges. Il dormait sur les lieux de son travail. Pour famille, il ne
lui reste que de vagues cousins, nés Poux comme lui qui n'ont
rien à dire sinon qu'ils ne le fréquentaient pas. En
tout état de cause, il est sorti vivant de la guerre. Il a
quitté Oléron en janvier 1920 pour disait-il, acheter
un garage de réparations auto-mobiles en Dordogne. La Dordogne
est vaste.

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