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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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une enveloppe pour Mathilde, que le docteur
Bertrand, de Soorts, le premier appelé par les pompiers, lui a
remise sans l'ouvrir. C'était quelques lignes au crayon
violet, d'une écriture presque illisible :

    Ma
petite Matti,
    Je
n'ai plus le courage de rien. On m'avait pris la moitié de ma
vie, maintenant j'ai perdu l'autre Ma seule consolation du malheur,
c'est que grâce à toi nous avons pu voir l'an dernier,
avec ma pauvre Isabelle, la tombe de notre fils. Mes affaires sont en
ordre. Je t'ai laisse par devant le notaire tout ce que nous
avons gardé de Manech. Je n'ai pas le courage non plus de tuer
le chien, je te demande de le recueillir. Il te connaît, il
aura moins de misère.
    Je
t'embrasse comme ma fille.
    Etchevery
Ambroise.
    La
seule famille du pauvre homme est une sœur, employée des
postes à Saint-Jean-de-Luz. Elle vend la maison et le parc à
huîtres pour s'installer avec son mari dans un commerce de
bonneterie. Sylvain rapporte dans la Delage le chien Kiki et les
affaires, en vrac, de Manech : ses
vieux vêtements, ses livres et ses cahiers d'écolier,
des Fantomas qu'il lisait avant de partir à la guerre, des
jouets qu'il s'était fabriqués, le fameux costume de
bain rayé bleu marine, auquel il manque l'écusson, mais
la trace ne se voit plus.
    En
septembre, malgré tous les soins, Kiki se laisse mourir, puis
Tertia et Bellissima, saisies par la toux, succombent en une seule
nuit. En novembre, on enterre à Labenne mademoiselle Clémence,
le professeur d'autrefois. Et encore, avant que l'année
finisse, le chat de Bénédicte, Camembert, parti courir
la gueuse, ne revient pas. Sylvain le retrouve trois jours plus tard,
écrasé par un camion, déjà mangé
par la vermine, à plus de cinq kilomètres de
Cap-Breton.
    L'année
1923 ne commence pas mieux. C'est une lettre de Marseille, en
février, qui apprend à Mathilde la mort de madame Paolo
Conte. La fidèle amie, madame Isola, lui écrit qu'elle
s'est éteinte sans souffrir, le cœur usé. Elle
n'avait pas revu sa filleule.
    La
villa MMM d'Hossegor, avec plusieurs mois de retard, est terminée
au printemps. Mathilde s'y installe avec Sylvain et Bénédicte,
elle voit le peuplier de ses fenêtres, les mimosas sont en
fleur dans le jardin, avec les rosiers, les rhododendrons et les
camélias que Sylvain a plantés. Mathilde a son atelier
à côté de sa chambre. Tous les sols de la maison
sont en marbre lisse, doux à ses roues, et dehors, pour
qu'elle puisse déambuler à sa guise, les allées
ont été bitumées. Pendant l'été,
elle peint le matin sur la terrasse devant le lac, l'après-midi
à l'ouest. Elle peint beaucoup, pour oublier les choses
tristes et que le temps passe sans rien apporter à son coffret
en acajou, pour s'oublier elle-même.
    En
hiver, elle expose ses toiles à Biarritz puis à Paris,
cette fois encore aux “Lettres de mon moulin". La dame aux
petits fours a toujours bon pied, bon œil, le livre d'or
s'enrichit de quelques jolies choses. Une femme écrit :
“Vos fleurs parlent." Et un visiteur suivant, juste
au-dessous  : “Disons qu'elles
balbutient. ”
    Mathilde
profite de ce séjour pour faire publier à nouveau son
annonce dans L'Illustration, La Vie parisienne et les mensuels
d'anciens combattants. Elle y raye les noms de Benjamin Gordes,
Chardolot et Santini, au seul profit de Célestin Poux, et
donne sa nouvelle adresse dans les Landes.
    Au
printemps, un heureux événement se produit à
MMM, dans lequel, superstitieuse quand ça la rassure, elle
voit le présage que la sortie du tunnel est proche, que
l'année 1924 lui ménage de grandes surprises et pansera
bien des plaies. À l'âge mûr, comme on le prétend
de certaines femmes, Durandal, la chatte jadis si hautaine de
Sylvain, veuve de Camembert, est saisie d'une véritable
frénésie de débauche. N'arrivant pas à
choisir entre Uno, Due, Voleur et Maître Jacques, elle jette
son dévolu sur les quatre, soit parce qu'ils ne sont pas trop
d'un quatuor pour la contenter, soit parce qu'elle a le louable souci
d'éviter les zizanies dans la maison. Comme il lui arrive en
outre de sortir en ville ou même en forêt, de n'en
revenir qu'à la nuit tombante avec des airs passablement
alanguis, bien malin qui peut dire, le samedi 26 avril, l'auteur des
cinq délicieux petits chatons tigrés qu'elle met au
monde. Bénédicte et Sylvain fêtent ce jour-là
leurs cinquante ans - elle est son aînée de deux jours -
et leur trentième anniversaire de

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