Un Monde Sans Fin
donner
naissance à deux solides gaillards comme David et Wulfric. Énergique et pleine
d’entrain de son vivant, ce n’était plus qu’une poupée pâle et fragile. Wulfric
posa la main sur sa poitrine, espérant sentir battre son cœur. Sous la pression
de ses doigts, un filet d’eau monta à la bouche de la morte. Il gémit à voix
basse : « Elle s’est noyée ! »
Gwenda entoura ses larges épaules de son bras pour tenter de
le consoler. Il ne parut pas s’en rendre compte.
Un homme d’armes attaché au comte Roland s’avançait vers
eux, portant dans ses bras le corps sans vie d’un homme de grande taille.
Wulfric ne put retenir un cri en reconnaissant son père.
« Étendez-le ici, à côté de son épouse », ordonna
Gwenda.
Wulfric, assommé, n’était plus capable de proférer un son ni
d’affronter la situation. Gwenda aussi était stupéfaite. Dans de telles
circonstances, que pouvait-on dire à l’homme qu’on aimait ? Elle aurait
tant voulu lui apporter un peu de réconfort. Mais tous les mots qui lui
venaient à l’esprit lui paraissaient stupides. Laissant Wulfric contempler les
corps inanimés de sa mère et de son père, Gwenda tourna la tête de l’autre côté.
L’immobilité de David l’inquiéta, elle se hâta de le rejoindre. Il fixait la
voûte d’un regard aveugle ; il ne respirait plus. Elle posa la main
sur sa poitrine : son cœur ne battait plus.
Comment Wulfric allait-il supporter ce troisième
décès ?
Essuyant ses larmes, elle s’en revint vers lui. À quoi bon
lui dissimuler la vérité ? « David est mort aussi », lui
murmura-t-elle.
Wulfric, frappé de stupeur, ne réagit pas. On aurait pu
croire qu’il n’avait pas compris. La pensée redoutable qu’il ait pu perdre
l’esprit effleura la jeune fille.
Mais au bout d’un moment, il lâcha, dans un
chuchotement : « Tous les trois morts ! Tous les
trois ! »
Il regarda Gwenda. Voyant ses yeux pleins de larmes, elle
l’entoura de ses bras. Des sanglots désespérés secouaient le grand corps du
jeune homme. Elle le serra plus fort contre elle. « Pauvre Wulfric,
dit-elle, pauvre Wulfric aimé.
— Dieu merci, il me reste Annet. »
*
Une heure plus tard, les morts et les blessés allongés dans
la nef en couvraient presque la totalité du sol. Carlus, le sous-prieur, se
tenait au milieu du désastre ; debout à ses côtés, frère Siméon, le
trésorier à la longue figure, lui prêtait ses yeux. En l’absence du père
prieur, Carlus continuait à diriger les opérations. « Frère Théodoric,
est-ce vous ? dit-il, identifiant à son pas un moine au teint pâle et aux
yeux bleu roi qui venait d’entrer. Trouvez le fossoyeur et demandez-lui de
prendre six hommes forts pour l’aider. Nous allons avoir besoin de tombes, une
centaine au moins. En cette saison, mieux vaut ne pas traîner avec les
enterrements.
— Tout de suite, mon frère ! » répondit
Théodoric. L’efficacité de Carlus malgré sa cécité impressionnait Caris.
Elle avait laissé Merthin se charger du retrait des corps
pour s’assurer que les religieuses et les moines avaient été avertis de la
catastrophe, puis elle était allée prévenir Matthieu le Barbier et Mattie la
Sage, avant de s’inquiéter du sort des siens.
Des personnes qui lui étaient proches, seuls son oncle
Anthony et Griselda s’étaient trouvés sur le pont au moment où il s’était
effondré, et Griselda était maintenant rentrée chez elle et se reposait. Caris
avait découvert son père dans la halle de la guilde en compagnie de
Buonaventura Caroli. Apprenant la nouvelle, Edmond avait réagi par ces
mots : « À présent, ils seront bien obligés de construire un pont
neuf ! » Après quoi, boitant sur sa mauvaise jambe, il s’était rendu
à la rivière pour aider aux secours. Les autres membres de la famille étaient
sains et saufs : lors du drame, tante Pétronille préparait le dîner ;
sa sœur Alice était avec son mari Elfric à l’auberge de La Cloche ; son
cousin Godwyn vérifiait dans la cathédrale les réparations effectuées dans la
partie sud du chœur.
Anthony demeurait introuvable. Si elle n’éprouvait pas une
grande affection pour son oncle, Caris n’allait pas jusqu’à souhaiter sa
disparition. Elle examinait donc anxieusement tous les nouveaux corps repêchés
dans la rivière et transportés dans le sanctuaire.
Mère Cécilia et les religieuses nettoyaient les blessures, y
appliquant
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