Un Monde Sans Fin
que nous avons trouvée.
Tu te rappelles où elle est ? Dans la chambre à coucher, dans le coffre à
côté du prie-Dieu. À l’intérieur d’une pochette de cuir couleur de gingembre.
— C’est tout ?
— Précise-lui que les terres remises au prieuré pour
l’admission de Thomas appartenaient à la reine Isabelle et que ce fait a été
gardé secret pendant dix ans. »
Philémon semblait embarrassé. « Mais nous ne savons pas
ce que Thomas cherche à cacher.
— C’est vrai, mais il n’y a pas de secret sans raison.
— Vous ne craignez pas que Murdo cherche à utiliser
cette information contre Thomas ?
— Bien sûr que si !
— Qu’est-ce qu’il fera ?
— Je n’en sais rien. Mais quelque chose de forcément néfaste
à Thomas.
— Je croyais que nous soutenions Thomas »,
s’étonna Philémon, quelque peu perplexe.
Godwyn sourit. « C’est ce que tout le monde
croit. »
La cloche retentit, sonnant l’office.
Philémon partit en quête de Murdo, laissant Godwyn rejoindre
les moines dans la cathédrale et joindre sa voix au chœur de la
congrégation : « Oh, Dieu, penche-toi vers moi et viens à mon
secours. » En cette occasion, le sacristain pria avec une rare gravité.
L’assurance qu’il avait manifestée en face de Philémon n’était que de façade.
En réalité, il jouait gros. Il avait tout misé sur le secret de Thomas sans
rien savoir de la carte qu’il retournerait.
En tout cas, il avait atteint l’un de ses objectifs :
semer le trouble parmi la communauté. Les moines étaient à ce point agités que
Carlus dut réclamer le silence par deux fois pendant la lecture des Psaumes. En
règle générale, les moines des monastères n’appréciaient guère les frères lais
pour l’attitude de supériorité morale qu’ils affichaient quant à la question
des biens terrestres et pour leur jalousie à l’endroit de ceux-là mêmes qu’ils
condamnaient. Ceux de Kingsbridge détestaient Murdo tout particulièrement pour
son côté pompeux, son avidité et son penchant pour la boisson. Ils
accepteraient n’importe qui comme prieur, sauf Murdo.
Comme la congrégation quittait la cathédrale, l’office
achevé, Siméon s’en vint trouver Godwyn. « Nous ne pouvons pas avoir ce
frère lai pour prieur.
— J’en conviens.
— Carlus et moi ne proposerons pas d’autre nom. Si nous
étalons nos divisions, le comte aura beau jeu de présenter son candidat comme
un compromis nécessaire. Nous devons effacer nos différences et faire bloc
autour de Thomas. Face à un front uni, le comte pourra difficilement aller
contre nos choix. »
Godwyn s’arrêta et fit face à Siméon. « Je vous
remercie, mon frère, dit-il avec une humilité appuyée pour mieux dissimuler sa
joie, car en vérité il exultait.
— Nous agissons ainsi pour le bien du prieuré.
— Je le sais. Vous faites preuve de générosité
d’esprit, je vous en remercie. »
Sur un hochement de la tête, Siméon s’éloigna.
Godwyn sentait la victoire toute proche.
Les moines entrèrent dans le réfectoire pour le dîner. Murdo
les y rejoignit. Il sautait les offices, mais jamais les repas. Les monastères
avaient pour règle commune d’accueillir à leur table tout moine ou frère lai
qui se présentait. Peu d’entre eux mettaient autant d’empressement que Murdo à
profiter de cet avantage. Godwyn scruta attentivement ses traits. À en juger
par son excitation, le frère lai devait être porteur d’une nouvelle qu’il
mourait d’envie de partager, mais il se contenait. Il garda le silence tout au
long du repas, écoutant le texte que lisait un novice.
Le passage en question relatait l’histoire de Susanne et des
Anciens, choix que Godwyn désapprouva. Ce récit de deux vieillards lascifs
forçant par chantage une femme à se donner à eux était bien trop explicite pour
être lu à haute voix dans une communauté d’hommes voués au célibat. Pourtant,
cette histoire ne retint guère l’attention des moines ce jour-là. Ils
continuèrent à chuchoter entre eux en lançant des coups d’œil en coin à Murdo.
Le repas achevé, forts de la connaissance que le prophète
Daniel avait sauvé Susanne de l’exécution en interrogeant les Anciens
séparément et en montrant les contradictions qui émaillaient leurs accusations,
les moines s’apprêtèrent à partir. Ce fut l’instant que choisit Murdo pour
lancer d’une voix forte, de manière à être entendu de tous :
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