Un Monde Sans Fin
Roland posa le pied par terre et
déclara : « Demain ! »
Les invités commençaient déjà à arriver pour les noces. Le
comte de Monmouth était descendu à l’hospice et s’était installé dans la salle
privée jouxtant celle de Roland. Le seigneur William et dame Philippa, qui
l’occupaient auparavant, avaient déménagé à l’auberge de La Cloche. L’évêque
Richard avait pris ses quartiers dans la maison du prieur, désormais habitée
par Carlus. Les barons de moindre rang et les chevaliers remplissaient les
tavernes, accompagnés de leurs épouses, de leurs enfants, de leurs écuyers, de
leurs domestiques et de leurs équipages. Leur présence provoquait une subite
opulence, dont la ville se réjouissait d’autant plus que le mauvais temps avait
eu de fâcheuses conséquences sur les profits attendus de la foire à la laine.
Le matin de l’élection, Godwyn et Siméon se rendirent à la
salle des trésors. C’était une petite pièce dépourvue de fenêtre, située
derrière la bibliothèque et protégée par une lourde porte en chêne. Là, dans un
coffre serti de fer dont Siméon, en sa qualité de trésorier, détenait seul les
clefs, étaient conservés les précieux ornements utilisés pour les cérémonies
particulières.
Si le résultat du vote était connu avant même que l’élection
se soit tenue, personne ne se doutait du rôle joué par Godwyn en sous-main. Il
était passé par un moment de tension extrême quand Thomas s’était étonné à voix
haute que Murdo ait pu être au courant de la charte d’Isabelle. « Il ne
peut pas avoir découvert son existence par hasard. On ne l’a jamais vu lire un
livre à la bibliothèque et, de toute façon, ce contrat n’y est pas conservé,
lui avait confié Thomas. Quelqu’un a dû lui en parler. Mais qui ? Seuls
Carlus et Siméon étaient au courant de son existence. Pourquoi auraient-ils
éventé le secret ? Ils sont tout à fait opposés à l’idée qu’il devienne
notre prieur. » Godwyn n’avait rien répondu et Thomas était resté avec ses
interrogations.
Joignant leurs forces, Godwyn et Siméon traînèrent le coffre
jusqu’à lumière, dans la bibliothèque. Les trésors de la cathédrale étaient
enveloppés dans du tissu bleu et protégés les uns des autres par des feuilles
de cuir. Tout en triant les objets, Siméon en déballa certains pour vérifier
leur état et les faire admirer à Godwyn. Il y avait notamment une plaque
d’ivoire sculptée de plusieurs pouces de long représentant la crucifixion subie
par saint Adolphe et au cours de laquelle le martyr avait demandé à Dieu
d’accorder santé et longue vie à tous ceux qui vénéreraient sa mémoire. On y
trouvait aussi quantité de chandeliers et de crucifix d’or et d’argent, décorés
d’une abondance de pierres précieuses. Dans la vive lumière tombant des hautes
fenêtres, l’or et les pierreries scintillaient de mille feux. Ces objets
admirables avaient été offerts au prieuré au cours des siècles par des artisans
dévots. Dans leur ensemble, ils constituaient un trésor dont peu de gens
avaient pu voir l’égal sur terre.
Godwyn était venu y chercher la crosse de cérémonie en bois
sertie d’or à la poignée ornée de pierres précieuses qui était rituellement
remise au prieur nouvellement élu. N’ayant pas été utilisée depuis quinze ans,
elle reposait tout au fond du coffre. Comme Godwyn l’en sortait, Siméon laissa
échapper une exclamation.
Godwyn releva vivement les yeux. Siméon tenait à la main un
grand crucifix monté sur socle du type de ceux que l’on place sur un autel.
« Qu’y a-t-il ? » s’enquit Godwyn.
Siméon retourna la croix et lui désigna un petit creux juste
au-dessous de la croisée des branches. Godwyn vit immédiatement qu’il y
manquait un rubis. « Il a dû tomber », dit-il en jetant un coup d’œil
par terre autour de lui.
Une même inquiétude saisit les deux moines, seuls dans la
bibliothèque. En tant que trésorier et sacristain, leur responsabilité était
engagée. Toute disparition leur vaudrait un blâme.
Ensemble ils examinèrent les objets rangés dans le coffre,
secouant un à un tous les morceaux de tissu dans lesquels ils étaient enroulés
et toutes les feuilles de cuir. Pris de frénésie, ils inspectèrent le coffre
après l’avoir vidé, ainsi que le plancher. Le rubis n’était nulle part en vue.
« Quand ce crucifix a-t-il été utilisé pour la
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