Un Monde Sans Fin
Même
si tu aimes ton frère, tu dois nous aider à l’attraper.
— Je sais...
— As-tu une idée de l’endroit où il pourrait se
cacher ? »
Mais Merthin ne se résoudrait pas à parler sans la solide
assurance que son frère ne serait pas abattu. « Vous lui laisserez la vie
sauve ?
— Si c’est possible. »
Merthin secoua la tête. « J’ai besoin d’un véritable
engagement. »
Thomas garda le silence quelques instants. Puis il
dit : « Bien, je veillerai à ce qu’il reste en vie. Je ne sais pas
comment, mais je trouverai un moyen. Je te le promets.
— Merci. » Merthin fit une pause. Son cœur se
rebellait à l’idée de livrer son frère, et il lui fallut un moment pour se
décider à parler. « Quand j’avais dans les treize ans, Ralph et moi
allions souvent à la chasse avec des garçons plus âgés. Nous passions la
journée dehors et nous mangions les bêtes que nous avions tirées. Parfois, nous
poussions jusqu’à Colline-Blanche, là où les troupeaux paissent l’été. Les
bergères ne sont pas farouches, certaines se laissent embrasser. » Il eut
un bref sourire à ce souvenir. « L’hiver, quand tout le monde était rentré
au village, nous nous abritions dans ces cabanes. Il est possible que Ralph se
cache là-bas.
— Merci, dit Thomas, et il se leva.
— Je compte sur vous.
— Tu peux.
— Vous m’avez fait confiance, il y a plus de dix ans.
— Je n’ai pas oublié.
— Je ne vous ai jamais trahi, lui rappela Merthin.
— Je sais.
— Maintenant, c’est moi qui me trouve obligé de vous
faire confiance. »
Ses paroles pouvaient aussi bien suggérer une demande de
réciprocité qu’une menace voilée. Merthin s’en rendit compte en même temps
qu’il les prononçait. Tant pis ! se dit-il. Que Thomas les comprenne à sa
guise !
Celui-ci lui tendait la main. Merthin la saisit.
« Je tiendrai parole », promit le moine et, sur
ces mots, il partit.
*
Ralph et Tarn chevauchaient côte à côte. Alan Fougère venait
derrière, à cheval lui aussi. Le reste de la bande suivait à pied. Ralph était
d’humeur joyeuse. L’attaque d’aujourd’hui s’était révélée fructueuse. Les
paysans apportaient plus de marchandises au marché, maintenant que le printemps
s’était installé. Leur butin consistait en une demi-douzaine d’agneaux de lait,
un tonneau de miel, une barrique de crème et plusieurs bouteilles de vin. Comme
toujours, les proscrits n’avaient pas subi de grands dommages, uniquement des
estafilades et des coups portés par les plus hardies de leurs victimes.
Son association avec Tarn était une réussite. Une ou deux
heures d’une lutte peu risquée le dimanche matin leur rapportaient de quoi
vivre dans le luxe pendant tout le reste de la semaine. Ils partageaient ensuite
leur temps en parties de chasse le jour et en beuveries le soir. Dans ces
collines, Ralph ne craignait pas qu’un serf l’importune à propos de parcelles
mal délimitées ou triche sur les loyers des fermes en métayage. La seule chose
qui lui manquait, c’étaient les femmes. Et aujourd’hui, justement, il y avait
remédié avec ses compagnons en enlevant deux petites sœurs potelées de treize
ou quatorze ans.
Cependant, il avait un regret, celui de ne pas avoir eu
l’occasion de se battre pour le roi, son rêve depuis l’enfance. La vie d’un
hors-la-loi était trop facile à son goût. Quelle gloire y avait-il à massacrer
des serfs désarmés pour un homme désireux de prouver au monde qu’il avait l’âme
d’un chevalier ? Hélas, il n’avait pas encore eu la chance de se le
prouver à lui-même. Chevauchant, poitrine au vent, parmi les collines, il
interdit à cette triste pensée de gâcher sa belle humeur ! Un festin
l’attendait ce soir, un agneau grillé à la broche, suivi de crème au miel.
Ensuite, il y aurait les filles... Il les ferait s’allonger côte à côte, pour
qu’elles puissent se voir lorsque les hommes de sa bande les violeraient tour à
tour. À cette pensée, son cœur s’accéléra.
Ils arrivaient en vue de leurs cabanes en pierre. Quel
dommage de les quitter bientôt ! L’herbe avait repoussé et les bergers ne
tarderaient pas à revenir. Pâques était tombé tôt cette année ; la
Pentecôte aurait lieu dans les premiers jours de mai. Il leur faudrait alors
trouver une nouvelle cachette.
Arrivé à quelque deux cents pas de leur campement, quelle ne
fut la surprise de Ralph de voir
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