Un Monde Sans Fin
porte en chêne. Les jours de
marché, c’était là qu’il se tenait avec sa petite troupe de volontaires, prêts
à intervenir en cas de troubles.
Alan Fougère partageait sa cellule. Un archer de Kingsbridge
l’avait ramassé, la cuisse transpercée d’une flèche, incapable de fuir comme
l’avaient fait Tarn l’Insaisissable et sa bande. Ce jour était le dernier que
les deux prisonniers passaient à Kingsbridge. Le shérif de Shiring était
attendu à midi pour les conduire là-bas. Ils avaient déjà été condamnés à mort
par contumace pour le viol d’Annet et pour les autres crimes commis dans la
salle d’audience en présence du juge : l’agression sur les personnes du
président des jurés et de Wulfric, et la fuite. Sitôt rendus à Shiring, ils
seraient pendus.
Une heure avant que midi ne sonne, les parents de Ralph leur
apportèrent à dîner : du jambon chaud, du pain frais et une cruche de
bière forte. Merthin les accompagnait et Ralph en conclut qu’ils venaient lui
faire leurs adieux.
Son père le confirma par ces mots : « Nous n’irons
pas à Shiring. »
À quoi sa mère ajouta : « Nous ne voulons pas te
voir...» Elle n’eut pas la force de poursuivre, mais la fin de sa phrase était
claire pour tout le monde : «... Pendu. »
Ralph but seulement de la bière, incapable d’avaler quoi que
ce soit. À quoi bon manger quand il se balancerait bientôt au bout d’une
corde ? Outre que c’était inutile, il n’avait pas faim, à l’inverse d’Alan
qui ne semblait pas se rendre compte de la tragédie à venir.
Un silence maladroit s’établit. Dans ces dernières minutes
qu’ils passaient ensemble, personne ne savait que dire. Dame Maud pleurait sans
bruit, sieur Gérald fulminait et Merthin restait assis, la tête dans les mains.
Quant à Alan Fougère, il avait l’air de s’ennuyer profondément.
L’envie d’interroger son frère démangeait Ralph, mais
quelque chose le retenait. La curiosité finit par l’emporter et il se lança,
comprenant que c’était sa dernière chance de connaître la vérité :
« Quand j’ai remercié frère Thomas de m’avoir sauvé la vie en me faisant
un bouclier de son corps, il m’a répondu qu’il l’avait fait pour toi. »
Comme Merthin se contentait de hocher la tête, il
insista : « C’était à ta demande ?
— Oui.
— Donc, tu étais au courant du guet-apens ?
— Oui.
— Donc... comment Thomas a-t-il pu savoir où
j’étais ? » Mais le père, abasourdi par cette nouvelle, s’écriait
déjà :
« Merthin ! Comment as-tu pu ? » À quoi
renchérissait Alan : « Cochon de traître ! »
Merthin reprit : « Tu assassinais des familles
entières d’innocents ! Il fallait bien retenir ton bras d’une façon ou
d’une autre ! »
À ces mots, Ralph s’étonna de n’éprouver aucune fureur,
seulement une sensation d’étouffement qui traduisait son émoi. Il déglutit et
l’interrogea : « Mais pourquoi as-tu demandé à frère Thomas de
m’épargner ? Tu préférais me voir pendu au gibet plutôt qu’abattu dans les
collines ?
— Ralph ! s’exclama sa mère. Je t’en
prie ! » Et elle éclata en sanglots.
« Je ne sais pas, répondit Merthin. Peut-être voulais
je seulement que tu vives un peu plus longtemps.
— Mais tu m’as trahi ! » s’écria Ralph et, à
sa plus grande surprise, il sentit des larmes lui piquer les yeux. Sa tête
bourdonnait, il se décomposait. « Tu m’as trahi ! répéta-t-il.
— Par Dieu, tu le méritais !
— Ne vous battez pas ! supplia dame Maud. Vous
n’en avez plus ni l’âge ni le temps. »
La porte s’ouvrit sur John le Sergent. « Le shérif est
arrivé. »
Dame Maud étreignit son fils, s’accrochant à lui en
pleurant.
Au bout d’un moment, sieur Gérald l’écarta gentiment.
John ressortit, précédant un Ralph fort étonné de ne pas
être ligoté ou enchaîné. Ne craignait-on pas qu’il s’enfuie pour la seconde
fois ? Il traversa la salle de garde, suivi des siens, et sortit dans la
rue.
Il avait dû pleuvoir un peu plus tôt dans la journée, car le
soleil qui se reflétait dans les flaques, l’éblouit et l’obligea à plisser les
paupières. S’étant habitué à la luminosité, il reconnut son cheval, sellé et
prêt au départ. Sa vue réjouit son cœur. Il saisit sa bride et se tendit vers
son oreille. « Toi, au moins, tu ne m’as jamais fait défaut ! »
Griff renâcla
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