Un Monde Sans Fin
soins à prodiguer aux blessés qu’en lisant un
livre. »
Mère Cécilia reprit : « Et toi, Saül, quel est ton
point de vue ? »
Godwyn s’attendait à ce que ce moine timide et gauche
fournisse une réponse identique à la sienne, de sorte qu’il serait impossible
de trancher. Mais celui-ci déclara : « Il se peut que le barbier ait
raison. » Godwyn se réjouit de voir qu’il avait fait le mauvais choix.
« Le traitement que propose frère Joseph, poursuivait Saül, étayant sa
pensée, est certainement tout à fait adapté aux blessures causées par la chute
d’une charge ou par un coup de marteau, comme cela se produit sur les chantiers
de construction. Dans ces cas-là, la peau et les chairs autour de la plaie sont
endommagées et l’on risque d’enfermer des humeurs mauvaises à l’intérieur du
corps en refermant la blessure trop tôt. Mais dans le cas présent, nous avons
une coupe très nette. Plus vite elle sera refermée, plus vite elle guérira.
— Bêtises que cela ! s’exclama le prieur. Comment
un simple barbier de la ville pourrait-il avoir raison contre un moine instruit ? »
Godwyn dissimula un sourire de triomphe.
Sur ce, la porte s’ouvrit à toute volée sous la poussée d’un
homme jeune portant la longue soutane des prêtres. Godwyn reconnut en lui
Richard de Shiring, le cadet des deux fils du comte Roland. Son salut de tête à
l’adresse du prieur et de l’abbesse était si cavalier qu’il frisait la
grossièreté. « Que diable s’est-il passé ? » s’écria-t-il en
marchant droit sur le chevalier.
Soulevant péniblement une main, Thomas lui fit signe de
s’incliner. Le prêtre se pencha au-dessus de lui. Thomas chuchota quelques mots
à son oreille.
Le père Richard se redressa, fâché. « Il n’en est pas
question ! » réagit-il avec colère.
Thomas le rappela du doigt ; la scène se répéta.
Chuchotement du blessé ; réaction outragée du prêtre, ponctuée cette fois
par une exclamation de surprise : « Mais pourquoi ? »
Thomas ne répondit pas.
Richard dit : « Vous réclamez une chose qu’il
n’est pas en notre pouvoir de vous donner. »
Thomas hocha la tête avec fermeté pour signifier son
insistance.
« Vous ne nous laissez pas le choix. »
Thomas fit un signe de tête négatif.
Richard leva les yeux vers le prieur Anthony. « Sieur
Thomas souhaite devenir moine ici, au prieuré. »
Il y eut un moment de silence ébahi. Cécilia fut la première
à le briser : « Mais c’est un homme de violence ! réagit-elle.
— Allons, allons ! fit Richard sur un ton
impatienté. Ce ne sera pas le premier soldat à abandonner la vie guerrière pour
rechercher la rémission de ses péchés.
— De tels retournements surviennent parfois aux portes
de la vieillesse, objecta Cécilia. Ce jeune homme n’a pas vingt-cinq ans.
Assurément, il cherche à fuir un danger. » Elle dévisagea durement le
prêtre. « Qui en veut à sa vie ?
— Mettez des bornes à votre curiosité, ma mère !
répliqua Richard sèchement. Le chevalier ne veut pas être bonne sœur, il veut
être moine ! En conséquence, les détails de son admission ne vous
concernent pas. » Parler sur ce ton à la supérieure d’un couvent était
d’une grossièreté insigne, mais les nobles ne s’embarrassaient pas de
politesse. S’adressant à Anthony il s’obstina : « Vous devez
l’admettre dans votre communauté.
— Le prieuré n’a pas les moyens d’accueillir un nouveau
moine... À moins qu’un don ne couvre les frais...
— Ce sera arrangé.
— Un don proportionnel aux besoins...
— Ce sera arrangé !
— Très bien. »
Les soupçons de mère Cécilia n’étaient pas apaisés. Elle
interrogea Anthony. « En savez-vous davantage sur cet homme que vous ne
m’en avez dit ?
— Je ne vois aucune raison de rejeter sa requête.
— Qu’est-ce qui vous porte à croire que ses remords
soient sincères ? »
Tous les regards se posèrent sur Thomas. Il avait les yeux
fermés.
« Il devra prouver sa sincérité pendant son noviciat,
comme tout le monde. »
Cette réponse, visiblement, ne satisfaisait pas la sainte
femme mais, pour une fois, elle n’avait pas voix au chapitre : le prieur
ne lui réclamait pas d’argent. « Nous ferions mieux de nous occuper de ses
blessures », dit-elle.
Frère Saül intervint : « Il a refusé le traitement
de frère joseph. C’est pourquoi nous avons envoyé
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