Un Monde Sans Fin
chercher le père
supérieur. »
Se penchant au-dessus du patient, Anthony déclara d’une voix
de stentor, comme s’il s’adressait à un sourd : « Vous devez recevoir
les soins prescrits par frère joseph. C’est lui qui connaît le mieux son affaire. »
Thomas, semblait-il, avait perdu connaissance.
« Il n’exprime plus d’objection.
— Il risque de perdre son bras ! insista Matthieu
le Barbier.
— Vous feriez mieux de partir ! » riposta
Anthony. Matthieu quitta les lieux sans chercher à dissimuler son aigreur. Le
prieur se tourna alors vers Richard : « Voulez-vous venir prendre un
bol de cidre chez moi ?
— Volontiers. »
Avant de partir, Anthony signifia à Godwyn de rester à
l’hospice. « Tu assisteras la mère prieure. Et tu passeras chez moi avant
vêpres pour me faire un rapport sur l’état du chevalier. »
La demande de son oncle surprit Godwyn. Il n’était pas dans
les habitudes du prieur de s’inquiéter des progrès des malades. Mais à
l’évidence, celui-ci suscitait en lui un intérêt particulier.
Godwyn regarda frère joseph appliquer l’onguent sur le bras
du chevalier sans connaissance, tout en s’interrogeant sur les intentions de la
prieure. En répondant correctement à sa question, il s’était certainement
assuré ses faveurs. Néanmoins il était anxieux d’obtenir de sa part un
assentiment explicite. C’est pourquoi, lorsque frère joseph eut achevé ses
soins et que mère Cécilia entreprit de bassiner le front du blessé avec de
l’eau de rose, il se permit d’insister. « J’espère que vous considérerez
favorablement ma requête. »
Elle posa sur lui un regard appuyé. « Autant te le dire
tout de suite : je financerai les études de Saül. »
Godwyn en fut ébahi. « Mais j’ai bien répondu !
— Crois-tu ?
— Vous ne pouvez certainement pas approuver le
traitement que prescrivait le barbier ? »
Elle haussa les sourcils. « Je n’ai pas à répondre à
tes questions, frère Godwyn. »
Celui-ci se reprit immédiatement. « Veuillez m’excuser.
Je ne comprends pas, voyez-vous.
— Je sais. »
Godwyn s’éloigna, tremblant de déception et de rage
impuissante. La supérieure n’argumenterait pas son choix. Sa décision était
prise. Sa dotation irait à Saül ! Était-ce parce qu’il était apparenté au
comte ? Godwyn en doutait, mère Cécilia étant connue pour son indépendance
d’esprit. Non, c’étaient les voyantes manifestations de piété de Saül qui
avaient fait pencher la balance en sa faveur ! Quel gâchis ! Ce
moinillon ne serait jamais un chef, dans aucun domaine. Et maintenant, Godwyn
allait devoir affronter la colère de sa mère. Qui blâmerait-elle ? Anthony ?
Lui-même ? À la perspective de subir les foudres de Pétronille, un
sentiment de crainte envahit Godwyn.
Juste au moment où il pensait à elle, il la vit passer la
porte située à l’autre bout de la salle d’hôpital, silhouette imposante au
buste proéminent. Ayant attiré son attention, elle demeura près de la porte,
attendant qu’il la rejoigne. Il s’avança lentement vers elle, cherchant comment
lui annoncer la nouvelle.
« Ta tante Rose se meurt, déclara Pétronille sitôt
qu’il se fut approché.
— Dieu bénisse son âme. Mère Cécilia m’a déjà prévenu.
— Tu as l’air choqué. Pourtant, tu n’étais pas sans
savoir qu’elle était au plus mal.
— Ce n’est pas tante Rose. J’ai d’autres mauvaises
nouvelles. » Il déglutit péniblement. « Je ne peux pas aller à
Oxford. Oncle Anthony refuse de prendre les frais à sa charge et mère Cécilia
m’a débouté lorsque je lui en ai fait la demande. »
Au grand soulagement de Godwyn, sa mère n’explosa pas tout
de suite. Sa bouche se pinça jusqu’à n’être plus qu’une ligne sinistre.
« On peut savoir pourquoi ?
— Oncle Anthony n’a pas d’argent et mère Cécilia
préfère payer des études à Saül.
— Saül Tête-Blanche ? Il ne sera jamais bon à
rien.
— En tout cas, il sera médecin. »
Regardant son fils dans le blanc des yeux, Pétronille
déclara :
« Tu as dû mal présenter ton affaire. Pourquoi ne m’en
as-tu pas parlé d’abord ? »
Elle réagissait exactement comme il l’avait craint.
« Comment pouvez-vous dire cela ? protesta-t-il.
— Tu aurais dû me laisser en discuter avec Anthony. Je
l’aurais attendri.
— Il aurait quand même refusé.
— Et tu aurais
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