Un Monde Sans Fin
s’était bien passé.
Elles n’avaient parcouru qu’un quart de mille quand les
remparts de la ville leur renvoyèrent l’écho de trompettes sonnant le lever des
troupes. Le roi Philippe, à l’instar de Caris, avait décidé de prendre le
départ de bonne heure. Dans les champs, soldats et hommes d’armes commencèrent
à se harnacher. Les maréchaux devaient avoir reçu des ordres la veille au soir,
car ils semblaient savoir parfaitement ce qu’ils avaient à faire.
Une partie de l’armée ne tarda pas à rattraper Caris et Mair
sur la route. Ce n’étaient pas des soldats français mais italiens. Ils
portaient des arbalètes en acier et quantités de flèches en fer. Ils étaient
chaleureux et Caris bavarda avec eux dans un mélange de normand et de latin,
mâtiné de quelques mots d’italien appris auprès de Buonaventura Caroli. Sur le
champ de bataille, lui dirent-ils, ils étaient en première ligne et tiraient,
abrités derrière de lourds pavois en bois qui, pour l’heure, étaient encore
rangés dans les chariots de l’intendance, quelque part derrière eux. Ils
grommelèrent à propos de leur petit déjeuner qu’ils n’avaient pas eu le temps
de prendre normalement, critiquèrent les chevaliers français qui étaient
impulsifs et querelleurs et parlèrent avec ferveur de leur chef, Ottone Doria,
qui se trouvait tout au début de la colonne.
Le soleil s’était levé. La chaleur devint bientôt pénible
pour tout le monde. En prévision de la bataille à venir, les arbalétriers
portaient, outre leur armement, de lourds manteaux matelassés, des casques en
fer et des genouillères.
Aux alentours de midi, Mair déclara qu’elle allait
s’évanouir si elle ne s’arrêtait pas pour se délasser un moment. Caris s’y
résolut de mauvais gré bien qu’elle soit elle-même exténuée. Elles
chevauchaient depuis l’aube ; leurs montures aussi avaient besoin de
prendre du repos. Caris et Mair les baignèrent dans la Somme puis mangèrent
encore un peu de pain.
Quand elles reprirent leur route, les milliers
d’arbalétriers les avaient dépassées. Elles se retrouvèrent à cheminer à côté
de chevaliers et de soldats, des Français cette fois. En la personne de leur
chef, Caris reconnut Charles, le colérique frère du roi. Elles étaient
maintenant au beau milieu du gros de l’armée française, dans l’incapacité de
rien faire, sinon forcer l’allure. Ce qu’elles firent, en espérant parvenir à
grignoter peu à peu du terrain et à rattraper l’avant-garde.
Peu après midi, un ordre se transmit d’un bataillon à
l’autre : « Quart de tour vers le nord pour tout le
monde ! » Les Anglais n’étaient pas à l’ouest, comme on l’avait cru
jusque-là. Ordre était donné à l’armée tout entière par le roi de France de
bifurquer dans cette direction, non pas une colonne après l’autre, mais toutes
les divisions en même temps. Les hommes qui se trouvaient à hauteur de Caris et
de Mair quittèrent la berge du fleuve sous l’autorité du comte Charles pour
s’engager dans un étroit chemin à travers champs. Caris suivit le mouvement, le
cœur lourd.
Et voilà qu’elle s’entendit appeler par une voix familière.
Le chirurgien Martin vint se placer près d’elle. « C’est le chaos, dit-il
d’un air sinistre. L’ordre de marche est totalement bouleversé. » Un petit
groupe d’hommes montés sur des chevaux rapides apparut de l’autre côté du
champ. « Des éclaireurs », nota Martin. Les voyant héler le comte
Charles, il partit devant pour entendre leur rapport. Les poneys de Caris et de
Mair emboîtèrent le pas à sa monture, fidèles à cet instinct naturel qui pousse
les chevaux à se rassembler.
« Les Anglais ont fait halte et occupent une position
défensive sur un piton rocheux, près de la ville de Crécy », entendirent
les deux religieuses.
Martin souffla à Caris : « C’est Henri Lemoine, un
vieux compagnon d’armes du roi de Bohême. »
Charles s’écriait déjà joyeusement : « S’il en est
ainsi, nous nous battrons aujourd’hui ! » Les chevaliers qui
l’entouraient l’applaudirent chaleureusement.
Henri leva une main en un geste de mise en garde.
« Nous proposons que toutes les unités s’arrêtent et se regroupent,
dit-il.
— Nous arrêter maintenant ? brailla Charles. Alors
que les Anglais sont enfin disposés à se battre ! Lançons l’attaque, au
contraire !
— Les hommes et les chevaux
Weitere Kostenlose Bücher