Un Monde Sans Fin
heriot.
— Nous le réglerons petit à petit. »
Nathan secoua la tête. « Non, je veux que ces terres
soient louées à un paysan capable de payer l’impôt immédiatement. »
Il promena les yeux sur l’assemblée. Personne ne se
proposait. « Et toi, David Johns ? »
L’homme auquel il s’adressait avait des fils qui possédaient
déjà des terres. Il répondit : « L’année dernière, j’aurais dit oui
sans hésiter. Mais avec toute cette pluie qui est tombée à l’automne, je suis
sur le flanc. »
En temps ordinaire, les villageois se seraient battus pour
se voir attribuer ces dix acres, mais l’année avait été mauvaise pour tout le
monde. Pour Gwenda et Wulfric, la situation était différente : ils
rêvaient de posséder des terres et n’en faisaient pas secret. Les parcelles
d’Alfred n’étaient en rien comparables à celles dont Wulfric avait été spolié,
mais c’était mieux que rien.
« Donne-les donc à Wulfric, Nathan ! intervint
Aaron Dupommier. Il les labourera en temps voulu. Il est dur à la tâche. Et ils
méritent bien cette chance, sa femme et lui. Ils ont mangé plus que leur part
de pain sec. »
Au grand dam de Nathan, les paysans clamaient leur accord.
Le couple était respecté au village, malgré sa pauvreté.
Gwenda, quant à elle, tremblait de tous ses membres,
littéralement, tant elle était émue. Cet extraordinaire concours de
circonstances lui faisait miroiter la possibilité d’un nouveau départ dans la
vie.
Las, Nathan n’était pas facile à convaincre. Il
objecta : « Le seigneur Ralph n’entérinera pas cette décision, il
déteste Wulfric. »
Celui-ci porta involontairement sa main à sa joue balafrée,
souvenir du coup d’épée reçu de Ralph dans la salle du tribunal.
« Je sais, dit Gwenda. Mais pour l’heure, il n’est pas
là. »
52.
La mort du comte Roland, au lendemain de la bataille de
Crécy, eut pour effet d’accélérer l’ascension sociale d’un certain nombre de
personnes. Ayant hérité du titre, son fils aîné, William, ne fut plus redevable
de ses actes qu’au roi seul. L’un de ses cousins, sieur Édouard Courteculotte,
devenu son vassal par l’octroi de la seigneurie de Caster et des quarante
villages composant ce fief, emménagea dans l’ancienne demeure de William et de
Philippa à Casterham. Quant à sieur Ralph Fitzgerald, il reçut le titre de
seigneur de Tench.
Au cours des dix-huit mois qui suivirent, aucun de ces
personnages ne rentra chez lui, occupés qu’ils étaient à occire des Français
dans leurs marches d’un bout à l’autre de ce pays sous l’étendard du roi
Édouard. Mais en l’an de grâce 1347, la guerre s’enlisa. Les Anglais
s’emparèrent de Calais et surent y demeurer, victoire non négligeable car cette
ville était un port important. Nul succès notoire n’avait marqué cette décennie
guerrière, n’était la quantité de butin amassé.
En janvier 1348, Ralph prit possession de sa nouvelle
seigneurie. Elle se composait du gros bourg de Tench, qui comptait une centaine
de familles de paysans, et de deux petits villages voisins. Par ailleurs, il
possédait toujours le village de Wigleigh, à une demi-journée de cheval.
Ce fut avec un tressaillement de fierté qu’il entra dans son
bourg en caracolant, instant attendu entre tous depuis l’enfance. Les serfs se
courbaient sur son passage, leurs enfants le dévisageaient les yeux ronds.
Dorénavant, il était le seigneur et maître de toutes personnes et de toutes
choses en ces lieux.
La demeure se dressait au centre d’un terrain cerné de
remparts. En y pénétrant, suivi d’un chariot transportant le butin rapporté de
France, Ralph ne manqua pas de noter la décrépitude du mur d’enceinte. Il
s’interrogea sur la nécessité de le réparer. En Normandie aussi presque toutes
les villes avaient des défenses mal entretenues et cela avait grandement
facilité la tâche des Anglais quand ils avaient voulu s’en emparer. Toutefois,
il était peu probable que l’Angleterre ait à se protéger d’une invasion lancée
à partir des côtes du Sud. La majeure partie de la flotte française avait été
coulée dans le port de Sluys. Désormais les Anglais étaient maîtres du chenal
qui séparait les deux pays. Mis à part quelques incursions mineures perpétrées
par des pirates agissant pour leur propre compte, tous les combats menés depuis
lors s’étaient déroulés sur le sol français. Tout
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