Un Monde Sans Fin
tribune où un second rejet s’envolait en direction de l’ouest pour former
l’arche de la galerie et rejaillir encore, plus haut à l’ouest, à partir d’une
arche de la clairevoie. Et il en allait ainsi, jusqu’à ce que tous les rejets
se soient séparés à leur tour en un éclaboussement de fleurs pour former enfin
les nervures arrondies de la voûte tout là-haut. Partant à présent de la clef
de voûte, le point le plus élevé de la cathédrale, il suivit en sens inverse le
parcours d’une nervure jusque tout en bas, au pilier où elle aboutissait :
très précisément celui qui faisait face au premier, de l’autre côté du
transept.
Mais tandis qu’il observait le jeu des nervures de pierre,
voilà qu’un événement étrange se produisit : sa vision perdit soudain de
son acuité et il eut l’impression que toute la partie située à l’est du
transept s’était déplacée.
Il perçut alors comme un roulement de tambour – bruit
assourdi au début, presque inaudible –, puis il sentit le sol vibrer sous ses
pieds comme si un arbre énorme était tombé à terre à quelques pas de lui.
Il y eut un flottement au milieu du cantique.
Une fissure apparut dans la partie sud du chœur, juste à
côté du pilier qu’il regardait.
D’un bond, il se tourna vers Caris. Des pierres chutaient
dans le chœur et la croisée du transept. Il les vit tomber du coin de l’œil et
le vacarme assourdissant de leur chute retentit alors dans un concert de cris
et de hurlements. Cela dura un long moment. Quand le silence se fit, Merthin se
retrouva tout à côté de la partie de la cathédrale qui s’était effondrée,
faisant de son corps un rempart pour Caris qu’il serrait contre lui, le bras
gauche passé autour de ses épaules, le bras droit levé au-dessus de sa tête
pour la protéger des éclats.
*
Ce fut un miracle s’il n’y eut aucun mort à déplorer.
En fait, personne ne se tenait dans la partie sud du chœur,
la plus endommagée, quand la voûte s’était effondrée. Moines et religieuses
étaient regroupés au centre ; quant aux fidèles, ils n’étaient pas
autorisés à franchir le chancel. Néanmoins, plusieurs moines l’avaient échappé
belle et, par la suite, cette circonstance alimenta la rumeur qu’un miracle
s’était produit. Certes, quelques-uns avaient été coupés ou blessés par des
éclats de pierre, mais les fidèles, eux, n’avaient que des égratignures. À
l’évidence, l’assistance avait été protégée par saint Adolphe, dont les
reliques étaient conservées sous le maître-autel. N’était-il pas réputé pour
guérir les malades et sauver les gens de la mort ? L’on s’accorda à penser
que l’éboulement d’une partie de la cathédrale était un avertissement de Dieu
envoyé aux habitants de Kingsbridge, mais l’on se perdit en conjectures quant
aux motifs du courroux divin.
Une heure plus tard, quatre hommes inspectaient les dégâts.
Il y avait là frère Godwyn, le cousin de Caris, sacristain de la cathédrale et,
en cette qualité, responsable du bâtiment et de tous les trésors qu’il
contenait. L’assistait un moine placé sous ses ordres, chargé des biens
inscrits à la matricule du prieuré. En tant que tel, il supervisait tous les
travaux et réparations touchant à l’édifice. Entré au monastère dix ans plus
tôt sous le nom de frère Thomas, c’était un ancien chevalier appelé sieur
Thomas Langley. Se joignait à eux maître Elfric. Charpentier de formation et
bâtisseur de son état, c’était lui qui assurait l’entretien de la cathédrale.
Il était venu accompagné de son apprenti Merthin.
La partie est de l’église était divisée en quatre sections,
ou travées, délimitées par des piliers. L’effondrement concernait les deux
travées les plus proches de la croisée du transept. Côté sud, la voûte s’était
entièrement effondrée dans la partie surplombant la première travée et
partiellement dans la partie surplombant la seconde. La galerie de la tribune
présentait des fissures et plusieurs fenêtres de la claire-voie avaient perdu
leurs meneaux.
Maître Elfric prit la parole : « La voûte s’est
écroulée en raison d’une faiblesse du mortier. Quant aux fissures qu’on
aperçoit aux niveaux les plus élevés, elles résultent de l’éboulement. »
Cette explication était loin de satisfaire Merthin, mais il
n’en avait pas de meilleure.
Il avait débuté son apprentissage au côté
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