Un Monde Sans Fin
noircis par la pluie.
Où pouvait donc s’évacuer toute cette quantité d’eau ?
se demanda Merthin, sachant qu’aucun caniveau n’entourait l’édifice. Toute
cette eau absorbée par le sol, l’équivalent de milliers et de milliers de
bolées, poursuivait-elle sa course plus bas, jusqu’en enfer où elle redevenait
pluie ? Non. La cathédrale était construite en haut d’une pente, l’eau
infiltrée sous terre coulait forcément jusqu’au bas de la colline, du nord au
sud, et se déversait ensuite dans la rivière, au sud du prieuré, au-delà du mur
d’enceinte. Les fondations des grands édifices en pierre étaient conçues de
manière à prévenir tout danger dû à une accumulation d’eau.
Tout en se représentant le trajet de la pluie sous terre,
Merthin eut l’impression de ressentir les vibrations produites par ce ruissellement,
comme si les fondations et les dalles du sol s’ingéniaient à les propager
jusqu’à la plante de ses pieds.
Un petit chien noir trottina vers lui en remuant la queue.
« Bonjour, Scrap », dit-il en le tapotant. Relevant les yeux, il
aperçut sa maîtresse. Son cœur bondit de joie dans sa poitrine.
Dans son manteau écarlate hérité de sa mère, Caris formait
la seule tache de couleur au milieu de cette morne assemblée. Merthin lui
adressa un grand sourire. Il était heureux de la voir. Elle était si belle avec
son petit visage rond aux traits réguliers et bien dessinés, ses cheveux
châtain clair et ses yeux verts ! À vrai dire, elle n’était pas plus jolie
que des centaines de jeunes filles de Kingsbridge. Mais que de désinvolture
dans sa façon de porter sa toque inclinée sur le côté, que de malice dans ses
yeux pétillants d’intelligence, que de promesses indistinctes et tentatrices
dans son petit sourire narquois ! Dix ans, maintenant, que Merthin la
connaissait. Pourtant il n’avait compris qu’il l’aimait que ces derniers
mois !
Caris l’attira derrière un pilier et l’embrassa sur la
bouche, promenant légèrement le bout de sa langue sur ses lèvres.
Ils s’embrassaient dès qu’ils en avaient l’occasion : à
l’église, au marché, dans la rue quand ils se rencontraient ou bien chez elle
lorsqu’ils se retrouvaient seuls dans une pièce. Merthin ne vivait que dans
l’attente de ces merveilleux moments. Il pensait aux baisers de Caris le soir
avant de s’endormir, et il y pensait à nouveau à peine réveillé.
Il se rendait chez elle deux ou trois fois par semaine.
Pétronille, sa tante, ne l’aimait pas. En revanche, son père, homme généreux et
convivial, lui proposait souvent de rester à dîner et Merthin acceptait avec
gratitude ce repas où il pouvait manger à sa faim. Après, il disputait une
partie d’échecs ou de dames avec Caris ou bien conversait avec elle. Il aimait
la regarder parler car elle tenait tous les rôles quand elle racontait une
histoire ou simplement expliquait quelque chose. Ses mains traçaient dans l’air
des images et son visage passait par tout le registre des expressions, allant
de l’étonnement à la gaieté. Le plus souvent, Merthin attendait surtout
l’instant où il pourrait lui voler un baiser.
Il promena les yeux sur l’assemblée des fidèles :
personne dans la foule ne regardait de leur côté. Il glissa la main à
l’intérieur du manteau de Caris et caressa la douce toile de sa robe. Son corps
était chaud. Il prit son sein dans sa paume, un sein petit et rond. Il aimait
la façon dont elle réagissait à la pression de ses doigts. Il ne l’avait encore
jamais vue nue, mais il connaissait intimement sa poitrine.
Dans ses rêves, il allait plus loin, il se voyait seul avec
elle dans un lieu isolé – une clairière dans les bois ou la grande chambre d’un
château –, nus tous les deux. Curieusement, ses rêves s’achevaient toujours
trop tôt, juste au moment où il s’apprêtait à entrer en elle, et il se
réveillait, le cœur empli de désirs inassouvis.
Un jour, se disait-il, un jour.
Ils n’avaient pas encore parlé mariage, les apprentis ne
pouvant pas se marier. De plus, une crainte superstitieuse le retenait
d’aborder ce sujet, comme s’il s’appliquait à lui-même le conseil donné aux
pèlerins de ne pas passer trop de temps à peaufiner leur voyage de crainte de
ne jamais partir, en raison des mille et un dangers susceptibles de se dresser
sur leur route. Il attendait donc la fin de son apprentissage. Caris
s’interrogeait
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