Un Monde Sans Fin
se mirent à danser la sarabande.
Merthin et Thomas étaient descendus dans la tombe. Seules
leurs têtes dépassaient du trou. Tout à coup, Merthin s’écria :
« Attendez, j’ai heurté quelque chose. »
Se penchant, Caris aperçut un morceau de tissu blanc couvert
de terre qui ressemblait à cette étoffe utilisée parfois pour les linceuls, et
enduite de cire d’abeille pour la rendre imperméable.
« Mais... où est passé le cercueil ? s’ébahit
Thomas.
— Il a été enterré dans un cercueil ? »
demanda Merthin, car ceux-ci étaient réservés à l’élite. Les pauvres, eux,
étaient enveloppés dans un linceul.
« Absolument ! répondit Thomas. Saül a été enterré
dans un cercueil, je l’ai vu de mes propres yeux ! Le bois n’est pas un
problème, ici, en pleine forêt. Tous les moines ont été enterrés dans des
cercueils jusqu’à ce que frère Silas tombe malade à son tour. C’était lui le
charpentier.
— Attendez ! » dit Merthin. Il enfonça son
outil dans la terre, à côté du linceul, et retira une pelletée de terre. Puis
il frappa le fond du trou du tranchant de sa bêche. Un bruit sourd leur
parvint, choc de métal contre du bois.
« Le cercueil est là, en dessous !
— Comment le corps en est-il sorti ? »
s’enquit Thomas. Caris frissonna de peur.
Dans son coin au fond de l’église, Godwyn haussa la
voix :
« Et il subira le tourment du feu et du soufre à la vue
des saints anges ; et la fumée de sa torture s’élèvera à jamais dans le
ciel. »
Thomas soupira. « Vous n’avez pas un moyen de le faire
taire ?
— Je n’ai pas emporté de médicaments avec moi, répondit
Caris.
— En fait, énonça Merthin, il ne s’est rien passé de
surnaturel. À mon avis, Godwyn et Philémon ont simplement sorti le corps du
cercueil et mis à la place le trésor dérobé.
— Dans ce cas-là, nous ferions bien de jeter un coup
d’œil à l’intérieur du cercueil », décréta Thomas qui s’était ressaisi.
Il fallait d’abord extraire de la tombe le corps enveloppé
dans le linceul. S’étant baissés d’un même mouvement, Merthin et Thomas
attrapèrent le cadavre par les épaules et les genoux et le soulevèrent. Quand
ils l’eurent monté à hauteur de leurs épaules, une seule solution s’offrit à
eux : le jeter dans le chœur. Le corps atterrit sur le sol de l’église
avec un son mat. Une expression d’effroi se répandit sur les traits des deux
hommes. Caris elle-même prit peur, pourtant elle ne croyait à aucune des
sornettes que l’on racontait sur le monde des esprits. Involontairement, elle
tourna la tête vers le fond de l’église et en scruta les sombres recoins.
Merthin balaya la terre couvrant le cercueil tandis que
Thomas allait chercher une barre de fer. Ensemble, ils ouvrirent le couvercle.
Armée de deux bougies, Caris éclaira la bière.
Un autre corps enveloppé d’un linceul reposait à
l’intérieur. « C’est étrange, dit Thomas d’une voix dont il ne put dissimuler
le tremblement.
— Réfléchissons posément. Commençons par regarder qui
occupe ce cercueil ! » déclara Merthin. Il affichait une grande
sérénité, mais Caris, qui le connaissait bien, savait qu’il ne se maîtrisait
que par un puissant effort de volonté.
Attrapant le linceul des deux mains, il en déchira les
coutures en partant de la tête. Une odeur nauséabonde s’en échappa. L’homme
était mort depuis une semaine mais son cadavre, enseveli dans le sol froid
d’une église non chauffée, n’était pas encore décomposé. La lumière
tremblotante des bougies que tenait Caris n’éclairait guère, cependant aucun
doute n’était permis quant à l’identité du défunt : ce crâne surmonté
d’une frange de cheveux blond cendré était bien celui de Saül Tête-Blanche.
« Il repose donc dans son cercueil, dit Merthin.
— Mais alors, quel est l’autre cadavre ? »
s’étonna Caris. Merthin recouvrit Saül de son linceul et remit en place le
couvercle du cercueil.
Caris s’agenouilla auprès du second corps. Si elle avait
fréquemment vu des morts, elle n’en avait jamais sorti un de sa tombe. Et ce
fut les mains tremblantes qu’elle défit le linceul pour découvrir le visage de
celui-ci. À sa grande horreur, le cadavre avait les yeux ouverts et semblait la
regarder. Dominant son émotion, elle ferma les paupières du défunt.
Il s’agissait d’un moine jeune et de haute taille
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