Un Monde Sans Fin
s’exclama-t-elle,
ravie de son bonheur. Maintenant, trouvons un endroit pour passer la
nuit. »
Le Vieux Chêne, situé sur la place du marché, pratiquait des
prix bien au-dessus de leurs moyens. Ils déambulèrent dans la petite ville à la
recherche d’une auberge meilleur marché. À la Maison de la Grille, Gwenda
obtint après un long marchandage de payer un penny pour un matelas à même le
sol et les repas du soir et du matin pour eux quatre. Les garçons avaient
besoin d’une bonne nuit de sommeil et d’un petit déjeuner solide, s’ils
devaient marcher toute la matinée.
Elle put à peine dormir tant son excitation était grande.
Ses inquiétudes aussi. Dans quelle aventure avait-elle entraîné sa
famille ? Elle n’avait que la parole d’un homme, un étranger qui plus est.
Que trouveraient-ils là-bas, à Outhenby ? Elle aurait dû s’informer
davantage avant de prendre une décision.
Mais voilà, cela faisait des années qu’ils étaient enfermés
au fin fond de leur village, Wulfric et elle ! Harry le Laboureur était le
premier à leur offrir le moyen d’en partir.
Le petit déjeuner, un gruau liquide et une bolée de cidre
coupé d’eau, n’était guère copieux. Gwenda acheta une grosse miche de pain
qu’ils mangeraient en cours de route et Wulfric emplit sa gourde d’eau fraîche
à la margelle d’un puits. Le soleil était levé depuis une heure lorsqu’ils
franchirent les portes de la ville et s’engagèrent sur la route du sud.
En chemin, le souvenir de son père lui revint. Apprenant
qu’elle n’était pas rentrée à Wigleigh, Joby devinerait qu’elle était partie
pour Outhenby. Il ne croirait pas à son histoire de Melcombe. Il était trop bon
menteur lui-même pour se laisser berner par une ruse aussi grossière.
L’interrogerait-on pour savoir ce qu’elle était devenue ? Pas forcément,
il était de notoriété publique qu’ils ne se parlaient pas. Cependant, si on lui
posait la question, lâcherait-il le morceau ou se tairait-il, mû par un vestige
de sentiment paternel ?
Dans l’impossibilité d’influencer son père, elle préféra ne
plus penser à lui.
C’était un plaisir que de voyager en cette saison. Après les
pluies des jours précédents, le sol était souple et il n’y avait pas de
poussière. Le soleil, capricieux, brillait par intermittence de sorte qu’il ne
faisait ni trop chaud ni trop froid. Néanmoins, les garçons se fatiguèrent
vite, surtout David, le plus jeune. Wulfric dut les distraire avec des chants, des
poèmes, des questions sur les noms des arbres et des plantes ou avec des jeux
de chiffres ou des histoires.
Gwenda osait à peine croire à son bonheur. La veille, à la
même heure, ils se lamentaient, persuadés d’être condamnés à connaître
éternellement la misère, le labeur et les espoirs déçus. Maintenant, ils
cheminaient vers une vie nouvelle.
Elle ne laissait pas grand-chose derrière elle, dans cette
maison où elle avait vécu dix ans avec Wulfric : quelques ustensiles de
cuisine, une pile de bûches, un demi-jambon et quatre couvertures. Tous leurs
vêtements, ils les portaient sur eux. Elle n’avait ni bijou, ni ruban, ni
gants, ni peigne. Les poulets et cochons qui, jadis, s’ébattaient dans la cour
avaient été mangés l’un après l’autre ou vendus pendant les années de disette.
L’avenir leur souriait : s’ils étaient payés au tarif promis, ils auraient
remplacé leurs maigres possessions en l’espace d’une semaine.
Conformément aux instructions de Harry, ils suivirent la
route du sud jusqu’à un gué boueux et remontèrent l’Outhen en direction de
l’ouest. La rivière était de moins en moins large. Elle coulait entre deux
chaînes de collines au milieu d’une terre que Wulfric jugea bonne et fertile.
« Évidemment, ça demande une solide charrue pour labourer. »
Vers midi, ils atteignirent une grosse bourgade. Une église
en pierre se dressait en son centre, flanquée d’un manoir en bois. Ils s’y
dirigèrent. Gwenda frappa à la porte anxieusement. Leur dirait-on que Harry le
Laboureur était un hâbleur qui ne savait pas de quoi il parlait ? Qu’il
n’y avait pas de travail ici ? Allait-elle découvrir qu’elle avait obligé
sa famille à faire une demi-journée de marche pour rien ? Quelle
humiliation ce serait que de retourner à Wigleigh et de supplier Nathan de leur
redonner du travail.
Une femme aux cheveux gris ouvrit la porte. Elle
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