Un Monde Sans Fin
des podestats.
C’est la lie de la terre.
— Je me demande bien de qui il s’agit.
— Je crois le savoir », dit Merthin.
*
Grégory Longfellow retrouva Ralph et Alan dans le petit
manoir à colombages de Wigleigh trois jours plus tard. Ralph avait choisi ce
lieu parce qu’ils y seraient plus tranquilles qu’à Tench, où ses faits et
gestes étaient l’objet d’une observation constante de la part de ses
serviteurs, de son entourage et de ses parents. Ici, seuls les paysans étaient
susceptibles de remarquer le grand sac que portait Alan, et ils étaient bien
trop occupés par leur travail aux champs pour songer à s’en étonner.
« Tout s’est-il déroulé comme prévu ? s’enquit
Grégory. La nouvelle de l’attaque du couvent a déjà fait le tour du comté...
— Tout s’est bien passé », dit Ralph, quelque peu
vexé par la froideur de l’avocat. Après tout le mal qu’il s’était donné pour
lui rapporter ses chartes, il s’était attendu à un peu plus de reconnaissance.
« Le shérif a annoncé l’ouverture d’une enquête, bien
évidemment, précisa l’avocat.
— Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, dit Ralph. Ils
chercheront du côté des proscrits.
— Vous êtes sûr qu’on ne vous a pas reconnus ?
— Sûr et certain. Nous portions des cagoules. »
Grégory le regardait d’un air étrange. « Je ne savais
pas que votre femme séjournait au couvent.
— Une heureuse coïncidence. Qui m’a permis de faire
d’une pierre deux coups. »
Grégory continuait à le fixer avec cette expression
indéchiffrable, et Ralph commençait à s’en agacer. L’avocat n’allait tout de
même pas s’indigner qu’il ait tué sa femme ? S’il avait ce culot, Ralph
n’hésiterait pas à lui rappeler sa complicité dans toute cette affaire.
N’était-il pas l’instigateur du vol ? De quel droit le jugeait-il ?
Il attendit qu’il reprenne la parole, décidé à le remettre à sa place si
d’aventure il se permettait de lui faire un reproche. Longfellow dit seulement,
après un long silence : « Si nous jetions un coup d’œil à ces
chartes ? »
Ralph envoya la servante faire une course à l’autre bout du
village et posta Alan devant la porte pour refouler les éventuels visiteurs.
Resté seul avec Grégory, il le regarda vider le sac sur la table et s’installer
devant les parchemins. Les chartes se présentaient sous forme de rouleaux, de
liasses ou de feuillets cousus ensemble. Il en déroula une, lut quelques lignes
à la lumière du soleil qui pénétrait par les fenêtres ouvertes, puis la jeta
dans le sac et passa à la suivante.
Ralph n’avait aucune idée de ce qu’il cherchait. Grégory
avait seulement précisé qu’il s’agissait d’un document susceptible
d’embarrasser le roi, et Ralph se demandait comment Caris avait pu entrer en
possession d’un écrit aussi dangereux.
Il commençait à en avoir assez de regarder l’avocat lire ces
grimoires, mais il était décidé à rester jusqu’au bout. Il avait rempli sa
mission. À Grégory d’honorer maintenant sa part du marché.
L’avocat étudiait les chartes une à une. Le tas diminuait
peu à peu. L’une d’entre elles parut éveiller en lui un intérêt particulier. Il
la lut avec attention et, finalement, l’envoya rejoindre les autres au fond du
sac.
Ralph laissa vagabonder ses pensées. Il avait passé toute la
semaine à Bristol avec Alan. Au cas, peu probable, où on les interrogerait sur
leurs récents déplacements, ils argueraient qu’ils n’avaient pas quitté la
ville : leurs compagnons de beuverie pourraient en témoigner. Ils avaient
passé toutes leurs soirées à la taverne, sauf une, bien sûr : celle où ils
étaient allés à Kingsbridge. Leurs amis de débauche ne manqueraient pas de se
rappeler toutes les tournées qu’il avait payées, oubliant qu’un soir, Ralph et
Alan leur avaient fait faux bond. Et si par hasard ils s’en souvenaient, ils
seraient bien en peine de dire si c’était le quatrième mercredi après Pâques ou
deux jeudis avant la Pentecôte.
Grégory avait fini d’examiner les chartes. Devant lui, la
table était vide et le sac à nouveau plein.
« Vous n’avez pas trouvé ce que vous recherchiez ?
S’enquit Ralph.
— M’avez-vous tout apporté ? l’interrogea Grégory
sans répondre à sa question.
— Ma foi, tout est là, oui.
— Bon.
— Donc, vous n’avez pas trouvé ? »
À son habitude,
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