Un Monde Sans Fin
ignorant que Tarn était mort ici, à l’hospice.
— Et qui était-ce, à ton avis ?
— Quelqu’un que nous connaissons bien. D’où la cagoule.
— Tu crois ?
— Naturellement. Les vrais brigands agissent à visage
découvert. »
C’était vrai. En général, les hors-la-loi tiraient orgueil
de leurs méfaits. Les intrus de la veille, avec leurs cagoules, n’assumaient
pas leurs crimes. Il y avait tout lieu de croire que c’était l’œuvre
d’individus craignant d’être reconnus.
Avec une logique implacable, Caris poursuivait :
« Ils ont tué Nellie pour une raison évidente : convaincre Joan de
les mener au trésor. Mais pourquoi, une fois là-bas, s’en sont-ils pris à
Tilly ? Ils n’en avaient nul besoin. Ils pouvaient laisser le feu se
charger de lui ôter la vie. S’ils l’ont poignardée, c’est qu’ils tenaient à
s’assurer qu’elle était morte et bien morte.
— Et alors, qu’en déduis-tu ? »
Caris ignora sa question. « Tilly s’était réfugiée ici
pour échapper à Ralph, parce qu’elle craignait pour sa vie.
— Je sais bien.
— Et tu te souviens, la nuit dernière, quand tu es
tombé à terre et que ton adversaire s’apprêtait à te tuer...»
Sa voix s’étrangla. Elle but une gorgée de cidre dans le bol
de Merthin et prit une profonde inspiration avant de poursuivre :
« Son chef a retenu son bras. Pourquoi, à ton avis ? Il venait
d’occire une religieuse et une dame de la noblesse... Quels scrupules aurait-il
eus à tuer un vulgaire maçon ?
— Tu penses que c’était Ralph, n’est-ce pas ?
— Pas toi ?
— Si, avoua Merthin avec un profond soupir. Il portait
une moufle, tu as remarqué ?
— J’ai vu qu’il était ganté. »
Merthin secoua la tête. « Ce n’étaient pas des gants,
mais des moufles. Et il n’en portait qu’une. À la main gauche.
— Pour cacher sa blessure...
— Je ne peux rien affirmer, n’ayant pas de preuves,
mais j’ai l’affreuse conviction que c’était lui.
— Allons inspecter les dégâts », dit Caris en se
levant.
Au réfectoire, ils trouvèrent les novices et les orphelines
occupées à déblayer la salle du trésor. Elles émergeaient de la crypte, lestées
de sacs remplis de cendres et de bois carbonisé qu’elles allaient jeter dehors,
sur le tas de détritus. Tout ce qui avait échappé au feu était remis à sœur
Joan.
Étalés sur l’une des grandes tables en bois, Merthin aperçut
des ornements utilisés lors de grandes cérémonies dans la cathédrale : des
chandeliers d’or et d’argent, des crucifix et des plats, tous objets finement
gravés et incrustés de pierres précieuses. « Ils ont laissé ces
merveilles ? demanda-t-il à Caris.
— Non, mais il faut croire qu’ils ont changé d’avis en
cours de route. Un paysan venu vendre ses œufs en ville les a trouvés, ce
matin, dans un fossé. Une chance qu’il ait été honnête. »
S’étant emparé d’une superbe aiguière en forme de coq,
Merthin s’émerveilla de la délicatesse avec laquelle avaient été ciselés les
détails, jusqu’aux plumes du cou. « De tels chefs-d’œuvre ne sont pas
faciles à vendre, fit-il observer. Peu de gens ont les moyens de se les offrir.
La plupart des acheteurs se seraient doutés qu’il s’agissait d’objets volés.
— Les voleurs auraient pu les fondre pour récupérer
l’or.
— C’était sans doute trop compliqué pour eux.
— Sans doute, oui. »
Mais Caris n’était pas convaincue. Lui-même, d’ailleurs,
était conscient des failles de son raisonnement. L’attaque du trésor avait été
organisée avec trop de soin pour que les voleurs n’aient pas su à l’avance ce
qu’ils feraient des objets précieux : les emporter ou les laisser derrière
eux.
En descendant l’escalier en colimaçon en compagnie de Caris,
Merthin revécut avec terreur l’épreuve de la nuit passée. Armées de seaux et de
serpillières, des novices lavaient à grande eau le sol et les murs de la
crypte. Caris leur enjoignit de prendre un moment de repos.
Restée seule avec Merthin, elle saisit sur une étagère une
longue pique en bois et s’en servit pour soulever une des dalles du sol.
Celle-ci en effet n’était pas jointive, détail passé inaperçu à Merthin
jusqu’alors. Elle dissimulait une vaste cavité contenant un coffret en bois.
Caris le saisit et l’ouvrit à l’aide d’une clé pendue à sa ceinture. Il
regorgeait de
Weitere Kostenlose Bücher