Un Monde Sans Fin
pas de voir Philippa donner des ordres à
ses domestiques : sans personne pour les aiguillonner, ils devenaient
paresseux.
Elle alla saluer son époux d’une belle révérence, comme elle
s’y devait après une aussi longue absence ; toutefois, elle ne l’embrassa
pas.
« Votre visite est pour le moins... inattendue,
lâcha-t-il d’une voix plate.
— Entendez-vous que j’aurais aussi bien pu rester où
j’étais ? » rétorqua-t-elle avec irritation.
Le comte retint un grognement. « Qu’est-ce qui vous
amène ? répliqua-t-il, persuadé que l’arrivée de sa femme n’augurait rien
de bon, quel qu’en soit le motif.
— Mon manoir d’Ingsby. »
Philippa possédait en propre quelques villages dans la
région de Gloucester qui lui payaient la redevance. Depuis son installation au
couvent, les baillis des hameaux concernés l’apportaient directement au prieuré
de Kingsbridge. Ingsby faisait office de délicate exception : les sommes
dues par ce fief étaient versées à Ralph qui les remettait ensuite à son
épouse. Or, depuis le départ de dame Philippa, le comte avait oublié de
s’acquitter de la dette.
« Par l’enfer ! Cette histoire m’était sortie de
l’esprit.
— Je comprends. Vous avez maintes choses en
tête. »
Sur ces mots, elle monta dans ses appartements. Il se remit
au travail, quelque peu étonné de l’attitude conciliante manifestée par sa
femme. Six mois de séparation l’avaient peut-être bonifiée, se dit-il, tandis
qu’un énième bailli lui débitait la liste des champs de blé mûr en se plaignant
du manque de bras. Toutefois, il espéra en secret que Philippa repartirait
bientôt : passer la nuit auprès d’elle, c’était comme partager le lit
d’une vache morte.
Elle réapparut au dîner, prit place à côté de lui et
s’entretint poliment avec les chevaliers de passage, sans aller toutefois
jusqu’à se montrer affable ou de bonne humeur. Il nota malgré tout que,
derrière sa froideur et sa réserve, il n’y avait plus trace de la haine glacée
et implacable qu’elle lui avait témoignée au début de leur mariage. Elle s’en
était débarrassée ou, du moins, la cachait mieux. Elle prit congé, sitôt le
repas terminé, le laissant boire en compagnie de ses visiteurs.
Ralph imagina un instant qu’elle envisageait peut-être de
revenir vivre au château, mais il écarta bien vite cette pensée. Elle ne
l’aimerait jamais, ni ne l’apprécierait. Elle éprouverait toujours une aversion
latente pour lui. Leur longue séparation avait seulement atténué la violence de
son ressentiment.
Au moment de monter se coucher, il supposa qu’elle devait
déjà dormir. À sa surprise, il la découvrit assise à son écritoire, vêtue d’une
chemise de lin ivoire. Une unique bougie éclairait ses traits altiers et son
épaisse chevelure noire. Sur la table était posée une longue lettre dont
l’écriture enfantine était celle d’Odila, comtesse de Monmouth. Philippa était
en train de lui répondre. Comme la plupart des dames de la noblesse, elle
dictait ses courriers officiels à un clerc et rédigeait de sa main sa
correspondance personnelle.
Après un bref passage dans le cabinet qui lui tenait lieu de
garde-robe, Ralph revint dans la chambre et entreprit d’ôter sa tunique. L’été,
il avait coutume de dormir en culottes.
Sa lettre achevée, Philippa se leva. Las, par mégarde, elle
renversa son encrier. Elle bondit vivement en arrière. Réaction inutile car une
grosse tache noire maculait sa chemise blanche. Elle lâcha un juron. De voir
éclaboussée d’encre une femme si soucieuse de bienséance amusa le comte de
Shiring.
Philippa hésitait, ne sachant quelle conduite adopter.
Subitement, voilà qu’elle retira sa chemise de nuit !
Ralph en resta médusé. Son épouse n’était pas prompte à se
défaire de ses habits ; cette tache devait l’avoir déstabilisée. Il
détailla le corps nu qui s’offrait à ses regards. Elle avait pris un peu de
poids au couvent : sa poitrine était plus ronde et opulente, son ventre
légèrement renflé, et ses hanches présentaient des courbes séduisantes. À son
grand étonnement, il en fut émoustillé.
Elle se pencha pour éponger l’encre à l’aide de sa chemise
de nuit roulée en boule. Ses seins ballottaient tandis qu’elle frottait les
dalles. Elle se retourna, présentant à Ralph une vue imprenable sur son
généreux postérieur. S’il ne l’avait pas connue,
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