Un Monde Sans Fin
était
fondée.
« Ne pars pas, Annet de Wigleigh, la pria Ralph.
— Oh, il n’y a pas de risque ! Tant que vous ne
m’aurez pas acheté ce que j’ai à vendre. »
Et Merthin de soupirer : « En voilà deux qui font
la paire. » Ralph insista : « Laisse donc tes œufs et viens te
promener avec moi au bord de la rivière. » Les couples amoureux avaient
pour habitude de se retrouver au pied du mur d’enceinte du prieuré. En cette
saison de l’année, cette vaste étendue d’herbe et de bosquets était couverte de
fleurs des champs.
— Un sein en forme d’œuf et qui révéla toute sa fermeté
sous la pression de ses doigts.
« Pour qui me prenez-vous ? »
s’insurgea-t-elle, sans reculer pour autant.
Il réitéra son geste doucement. « J’examine la
marchandise, dit-il d’un air appréciateur.
— Retirez votre main !
— Dans une minute. »
Alors Wulfric le poussa violemment.
Ralph, qui ne s’y attendait pas, fut déstabilisé. Il recula
en chancelant et tomba avec un bruit sourd. En entendant un rire, il se releva
d’un bond, humilié par l’affront. Sa stupéfaction se mua en colère. Il ne lui
était pas venu à l’esprit qu’un paysan puisse lever la main sur lui.
N’étant pas chevalier, il ne portait pas d’épée à sa
ceinture, mais un long poignard. Cependant, il aurait été indigne de sa part de
l’utiliser contre un paysan désarmé. Les chevaliers et les autres écuyers lui
auraient aussitôt retiré leur estime. C’était donc avec ses poings qu’il devait
punir Wulfric.
Perkin s’extirpa de derrière son étal. « C’est une
maladresse, une erreur involontaire. Le garçon est profondément désolé, je vous
assure...»
Annet, au contraire, semblait tirer plaisir de la situation.
« Ah, ces garçons ! » soupira-t-elle sur un ton de feint
reproche.
Les ignorant l’un comme l’autre, Ralph marcha sur Wulfric et
leva son bras droit. Celui-ci se protégea le visage de ses deux mains. Ralph
lui expédia son poing gauche dans le ventre – un ventre plus musclé qu’il ne le
pensait. La douleur força le paysan à se plier en deux, les mains sur son
bas-ventre. Ralph en profita pour le cogner au visage. Son poing s’écrasa si
violemment sur la pommette qu’il se fit mal lui-même. Qu’importait ! Son
cœur bondit de joie.
Mais quelle ne fut pas sa surprise de voir Wulfric lui
rendre la monnaie de sa pièce !
Au lieu de rester à terre à attendre que Ralph le martèle de
coups de pied, le paysan était revenu à la charge. De tout l’élan de ses
puissantes épaules, il avait projeté son poing droit dans le nez de son
adversaire. Le visage en sang, Ralph hurla de douleur autant que de rage.
Wulfric recula, laissant retomber ses bras. À croire qu’il
ne se rendait compte qu’en cet instant du caractère abominable de son geste. Il
tendit les mains devant lui, les paumes tournées vers le haut.
Mais son regret venait trop tard. Ralph déversa sur lui une
pluie de coups de poing, le frappant au corps aussi bien qu’au visage. Wulfric
tenta faiblement de se protéger en levant les bras et en rentrant la tête dans
les épaules.
Et Ralph se demandait, tout en le tabassant, pourquoi il ne
s’était pas enfui. Était-ce pour recevoir sa punition maintenant, sur place,
plutôt que de subir plus tard un sort bien pire ? En tout cas, ce paysan
avait du cran. Cette constatation eut pour effet de nourrir plus encore sa
colère et il redoubla de violence, le cœur empli de fureur et d’extase à la
fois.
Merthin voulut s’interposer. « Pour l’amour du Christ,
arrête ! » Ralph se dégagea brutalement de son étreinte.
Wulfric finit par baisser les bras, chancelant, l’air
stupéfié, les yeux fermés. Son beau visage n’était plus qu’une masse
sanguinolente. Il s’écroula dans la boue. Ralph se mit alors à le bourrer de
coups de pied jusqu’à ce qu’un homme robuste en pantalon de cuir arrive enfin
et lui intime d’une voix autoritaire : « Ça suffit, Ralph ! Tu
ne vas pas assassiner ce garçon ! »
Ralph reconnut en lui l’agent de police de la ville, John.
« C’est lui qui m’a attaqué ! répliqua-t-il avec indignation.
— Pour l’heure il ne t’attaque pas, ce me semble,
étendu par terre comme il l’est, les yeux fermés. » Venu se placer devant
Ralph, il ajouta : « j’aimerais autant éviter une enquête du
coroner. »
La populace s’était massée autour de Wulfric :
Weitere Kostenlose Bücher