Un Monde Sans Fin
court moment et Sam déclara qu’il devait
se remettre à l’ouvrage sinon ses camarades lui reprocheraient de se reposer.
« Retournez au village et demandez la vieille Liza.
Elle habite en face de l’église. Elle se fera un plaisir de vous offrir à
boire. Je vous rejoindrai à la tombée de la nuit. »
Gwenda leva les yeux : le ciel s’assombrissait déjà.
D’ici une heure tout au plus, les hommes devraient ranger leurs outils. Elle
embrassa son fils sur la joue et le laissa.
La maison de Liza, à peine plus grande que les autres,
possédait deux chambres. Comme Sam l’avait prédit, Liza l’accueillit à bras
ouverts. Ayant présenté la visiteuse à son mari, Rob, qui était aveugle, elle
lui servit un bol de bière anglaise et posa sur la table une miche de pain et
du ragoût.
À la première question de Gwenda, Liza répondit en racontant
par le menu toute la vie de son garçon depuis le berceau jusqu’à son départ en
apprentissage. Soudain, Rob l’interrompit sèchement d’un simple mot :
« Cheval ! »
Dans le silence qui s’établit, Gwenda entendit claquer des
sabots.
« Petite monture, précisa Rob. Palefroi ou poney. Trop
modeste pour un noble ou un chevalier. Peut-être une dame. » Gwenda
frémit.
« Deux visites en une heure, ajouta-t-il. C’est
sûrement lié. » Gwenda sentit ses craintes redoubler.
Elle alla jeter un coup d’œil à la porte. Un robuste poney
noir trottinait sur le sentier entre les maisons monté par Jonno, le fils de
Nathan ! Son cœur se serra.
Comment avait-il fait pour la débusquer ?
Elle n’eut pas le temps de battre en retraite, il l’avait
aperçue. « Gwenda ! s’écria-t-il et il piqua des talons.
— Faut-il que tu sois un démon !
— Je me demande bien ce que vous faites ici !
railla-t-il.
— Comment as-tu su que j’étais à Vieille-Église ?
Personne ne m’a suivie.
— Mon père m’a envoyé à Kingsbridge, certain que vous
maniganciez quelque chose. En cours de route, je me suis arrêté à la taverne de
La Fourche. Des gens se sont rappelé vous avoir vue prendre la route
d’Outhenby. »
Le gamin était perspicace ; réussirait-elle à le
berner ?
« Pourquoi ne rendrais-je pas visite à de vieux
amis ?
— Il n’y a pas de raison, en effet. Où est votre fuyard
de fils ?
— Pas ici, contrairement à ce que
j’espérais ! »
Il parut hésiter. Gwenda crut un instant qu’il avait gobé
ses explications. Malheureusement, il ajouta : « Peut-être se cache
t-il ? Je ferais bien de fouiller les environs. »
D’un coup d’éperon, il fit repartir sa monture.
Gwenda le suivit des yeux, espérant avoir semé le doute dans
son esprit, à défaut de l’avoir dupé. En se hâtant, elle parviendrait peut-être
à prévenir Sam avant qu’il ne le trouve.
Elle s’élança à l’arrière de la maison, saluant ses hôtes au
passage, et bondit au-dehors. Elle courut vers le champ, veillant à rester près
de la haie. Se retournant vers le hameau, elle aperçut le cavalier. Peut-être
ne la verrait-il pas sur ce fond de sombres branchages, en ce début de
crépuscule.
Sam s’en revenait des champs avec ses compagnons, la pelle
sur l’épaule et les bottes maculées de crottin. Sa vue lui évoqua Ralph :
le comte et son fils avaient la même carrure, la même démarche assurée, le même
visage séduisant sur un cou puissant. Pourtant, dès qu’il ouvrait la bouche, le
jeune homme se mettait à ressembler à Wulfric : curieusement, sa façon de
tourner la tête, de sourire timidement, de lever la main quand il n’était pas
d’accord avec son interlocuteur étaient des gestes copiés de son père
nourricier.
Les hommes repérèrent Gwenda près de la haie.
« Bonjour, maman ! » lança le borgne et tous se prirent à rire
de bon cœur, encore amusés par sa visite de l’après-midi.
Elle entraîna son fils à l’écart. « Jonno est ici.
— Sacredieu ! Et vous disiez que vous n’aviez pas
été suivie !
— Il a retrouvé ma trace.
— Par le diable ! Que faire maintenant ? Il
n’est pas question que je rentre à Wigleigh !
— Je l’ai vu partir vers l’est, dit-elle en scrutant la
pénombre sans distinguer grand-chose. En nous hâtant, nous pourrons peut-être
regagner le village. Tu te cacherais alors... dans l’église ?
— D’accord. »
Ils pressèrent le pas et Gwenda lança par-dessus son
épaule : « Si vous rencontrez un bailli dénommé
Weitere Kostenlose Bücher